Bouteflika entre les lignes
Au début des années 80, le chanteur français Serge Gainsbourg, dont on connaît le gout pour la provoc, avait garé sa voiture près de l´Arc de Triomphe à Paris, dans une avenue (les Champs Elysées) interdite de stationnement. La police était tout heureuse d´avoir épinglé l´un des artistes les plus médiatisés de l´Héxagone, en mettant un sabot à la roue de son véhicule, sans savoir que c´était l´inverse qui s´était passé. Gainsbourg avait piégé la grande rousse : c´était à dessein qu´il avait mis sa voiture, une superbe Mercedes paraît-il. Sitôt fait, l´artiste avait intenté un procès à l´Etat français, en disant que l´immobilisation de son véhicule constituait une atteinte grave à sa liberté de circuler, un droit reconnu par la Constitution française. La juge lui donna raison et depuis cette date, les fameux sabots ont été interdits en France. Et ce cas d´espèce a fait jurisprudence. La France est donc un pays où l´Etat de droit a droit de ... cité.
Ce n´est pas le cas chez nous. Non seulement la police ne se gêne pas pour mettre des sabots, mais en plus les chauffeurs continuent de garer n´importe où et n´importe comment. En résumé, on peut dire que l´Etat ne respecte pas la loi, mais les citoyens qui ne connaissent pas leurs droits, ne la respectent pas non plus. Dans tous les cas de figure, la loi est violée. Par l´Etat ou par les citoyens. Quant à attaquer l´Etat en justice, n´y comptez pas trop là-dessus. Le fait du prince est plus que jamais un fait établi. La même chose peut être dite de la Cnas (sécurité sociale). Les prélèvements se font à la source et ils sont obligatoires. Mais les remboursements sont soumis à une série de tracasseries, qui fait que le simple citoyen préfère renoncer à ce droit simple qui est de réclamer son dû à un organisme qu´il finance par ses cotisations. Mais là aussi on est dans un Etat de non-droit. Sinon comment expliquer que chaque année on nous parle du trou de la sécurité : si les assurés ne sont pas remboursés, c´est qu´il y a des cercles mafieux qui le sont à leur place, et le ministre du Travail a raison de sévir.
Tout cela nous amène bien sûr à parler de la charte pour la paix et la réconciliation. Sa portée politique est claire: elle vise à mettre fin, à plus ou moins brève échéance, à l´effusion de sang dans le pays. Mais à côté de ça, il y a beaucoup de zones d´ombre. Est-ce la raison qui a amené le chef de l´Etat à demander qu´on la lise entre les lignes. Une charte qui ne prend pas en considération l´Etat de droit, la défense des libertés et le quotidien des citoyens, que peut-on en faire et à quoi servira-t-elle? Un brillant chroniqueur a essayé pour sa part de lire entre les lignes.
Il n´ a rien trouvé. Il a même essayé derrière les lignes. Il n´a rien découvert non plus. Peut-être que sa méthode, basée sur les statistiques, n´est pas appropriée (le nombre de fois que tel ou tel mot a été employé). Il aurait pu aller plus loin, pour lire à côté des lignes, dans la marge, au-dessus ou au-dessous, en parallèle, en perpendiculaire, autour et de façon circulaire, jusqu´à ce que sa quête prenne la tangente. On retombera à ce moment-là sur cette question lancinante: que voulait le rédacteur de la charte? Une fois les groupes armés redescendus des montagnes, comment reconstruire ce pays, ramener la sécurité dans les villes et les hameaux? La charte vise-t-elle uniquement à couvrir les règlements de comptes au sommet ou bien a-t-elle une autre finalité, plus noble? Si la politique en Algérie n´est que l´art consommé de partager la rente, alors on n´en a pas besoin. Il faut tout casser et tout reconstruire. Si au contraire, elle est là pour assurer plus de démocratie, plus de justice sociale, pour qu´aux commandes de l´Etat soient élues les personnes compétentes dans la manière de développer l´économie du pays et de protéger les libertés, tout en faisant que les plus faibles et les plus démunis y trouvent leur place, alors on pourra dire qu´elle sonnera le glas d´une période d´incurie et annoncera le début d´un nouveau printemps. Sinon, le jeu n´en vaut pas la chandelle.