Le chef de gare
Abdelmadjid Sidi-Saïd aura réussi le tour de force de fédérer les organisations patronales autour de son idée de week-end universel. Les deux partenaires (syndicats et patronat) font bloc et marchandent ce point dans le cadre de la tripartite. En l´occurrence, voilà leur marché: on signera le pacte économique et social si, et seulement si, le gouvernement nous accorde le week-end universel.
Toute la finesse du troc repose sur ce délicat qualificatif : universel. Quand c´est samedi-dimanche, on pourra dire que c´est universel. En revanche, si c´est jeudi-vendredi, alors là vous n´avez aucune chance qu´il soit universel, même si il y a un milliard d´êtres humains qui prennent leur repos ce jour-là. On va mettre la religion de côté, pour qu´il n´y ait aucune interférence là-dessus et nous ne retiendrons que les aberrations qui peuvent naître à partir d´un seul qualificatif.
Ainsi les mots peuvent-ils habiller, maquiller, grimer, changer un concept. Dans le lot, les «économistes» de service nous expliqueront qu´en fait, nos principaux partenaires (à savoir les pays de l´Europe) ne travaillent que samedi et dimanche; dans nos rapports commerciaux et économiques avec eux, nous sommes coupés de nos correspondants quatre jours par semaine, soit du jeudi au dimanche. C´est-à-dire que, si vous faites bien le calcul, on s´apercevra que l´Algérie ne travaille que trois jours par semaine. Si on y ajoute le mois de Ramadan, où l´on ne roule qu´à 20% environ de nos capacités, les lendemains de vagues de moustiques où le rendement est nul, les surlendemains de lâchers d´eau à une heure du matin pour remplir les jerricans, les heures perdues dans les embouteillages, les chèques barrés que l´on ne peut encaisser, sauf à faire quatre cents kilomètres, etc, etc, on voit qu´il ne reste pas beaucoup de place pour le travail productif.
Au fond, peut-être que Abdelmadjid Sidi-Saïd et ses copains de la Centrale syndicale ont raison de plaider pour le retour au week-end universel, surtout s´ils mettent sur la balance la signature du pacte économique et social.
Ainsi, après la promulgations des codes, l´Algérie de cette année 2005 s´apprête à être celle des chartes et des pactes. Le fameux référendum sur la réconciliation, qu´on attendait depuis des lustres, s´est subrepticement transformé, par la grâce d´un communiqué officiel, en charte pour la paix et la réconciliation, tandis que les tripartites accoucheront de cette délicieuse entente bien algérienne: le pacte économique et social.
C´est que depuis le premier novembre 1954, l´Algérie a un faible pour les chartes, plate-formes et autres pactes. Il y eut la plate-forme de la Soummam, à laquelle a répondu, plus de quarante ans plus tard, la plate-forme d´El Kseur. En outre, on a eu la Charte de Tripoli, la charte d´Alger, la charte nationale de 1975 et celle de 1986.
La Constitution elle-même a connu plusieurs moutures et modifications, sans compter un gel en 1965. Après le coup d´Etat du même nom.
Le mouvement de rédaction des chartes revient tous les dix ans environ, comme les éruptions solaires.
De tous les pays du monde, l´Algérie est celui qui obéit le plus à la gravitation universelle et à l´influence des astres. Alors que partout ailleurs, le soleil et la lune exercent leur influence sur le flux et le reflux des marées, en Algérie, c´est sur l´humeur même des responsables que cette influence s´exerce. Il en résulte une énergie renouvelée à la rédaction d´une nouvelle charte.
Quand cela se traduit par un débat profond dans le pays sur les questions fondamentales, on peut dire tant mieux. Par exemple la charte nationale des années 70 avait engagé le pays sur une voie, la charte pour la paix de 2005 va l´engager sur une autre. C´est-à-dire que l´Algérie va changer de train, et cette nouvelle orientation n´est pas bien perçue au sein de l´opinion.
Y a-t-il un conducteur dans le train? Ou au moins un chef de gare?