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Abdelmadjid Tebboune s’annonce

En annonçant le 21 mars dernier la tenue d'une élection présidentielle anticipée pour le 7 septembre prochain, le président Tebboune a pris de court certaines voix expertes en politique et son contraire. Elles craignaient un prolongement du mandat, et voilà que le Président fait le contraire: il le raccourcit, les plongeant les premiers temps dans un épais brouillard. Elles attendaient une explication. Le Président la donna. Elles la soupesèrent, la reniflèrent et crurent voir anguille sous roche. C'est qu'elles étaient habituées à chercher midi à quatorze heure. Elles crièrent à l'ambiguïté. Mais voyons, l'ambiguïté est une stratégie politique. Sans ambiguïté, un politique est à découvert. Rappelons-nous la recommandation du grand moraliste espagnol du XVIIe siècle Gracian Baltasar dont l'essai L'Art de la prudence a été le bréviaire de tant de monarques et de présidents: «Il n'y a rien de meilleur que de ne se faire jamais comprendre.» Mitterrand, ministre compromis dans la Guerre d'Algérie, mais politique madré qui a marqué sa présidence, avait fait de l'ambiguïté sa marque de fabrique. Et cela lui a particulièrement réussi puisqu'il cumula deux mandats qui ont fait de lui le Président qui a le plus régné en France. Tout communicant chevronné vous le dira: un grand Président ne doit jamais se laisser lire. La transparence sur ses actions futures n'existe pas pour un politique digne de ce nom; et s'il est transparent, c'est qu'il n'est pas un vrai politique. L'est-on quand on donne des armes à ses adversaires? Surprendre encore et toujours, telle est la règle dans la cour des grands.
La décision surprise d'Abdelmadjid Tebboune a un nom en marketing: la disruption ou l'art de créer la rupture en bousculant les codes pour surprendre et se différencier de la concurrence. Même la presse d'outre-Méditerranée n'avait rien compris, rien vu. Habituée à ses «sources bien informées», elle s'était retrouvée devant des sources taries. Prenons un journal de référence. Tenez, pourquoi pas Le Monde qui n'est plus Le Monde d'hier mais qui a encore de beaux restes, certes, pas toujours favorables à l'Algérie mais comme ce sont des restes bien emballés, ne boudons pas notre plaisir. Le Monde donc, qui ne sait plus à quelle source se vouer comme on se vouerait à un saint, écrit désarmé: «Le seul précédent d'une présidentielle anticipée en Algérie remonte à septembre 1998. Différence notable: le président Liamine Zeroual avait alors pris soin de préciser qu'il ne serait pas candidat.» Rien de tel dans le communiqué laconique publié jeudi, même si Samir Larabi, universitaire et journaliste, s'est risqué à faire le parallèle dans un post sur Facebook: «Nous n'avons pas de boule de cristal, mais telles que les choses se présentent, A. Tebboune ne sera pas candidat.» S'il avait possédé une boule de cristal, il aurait évité de prédire un avenir qui ne dépend de personne que du Président lui-même. Comment peut-on alors penser à la place du Président? Telle est la folie de beaucoup d'observateurs algériens qui prennent souvent leurs rêves pour de la réalité. Le grand maître indien Swami Prajnanpad préconise, pour éviter de dire des sottises, de ne pas penser mais de voir les yeux ouverts, de ne pas croire, mais de voir d'abord ce qui est, non pas ce qui pourrait être. Voir les yeux ouverts pour ne pas ouvrir les «yeux à l'imagination». Continuons à lire Le Monde, porte-parole du Quai d'Orsay, pour comprendre combien sa diplomatie fut déroutée par l'annonce du Président: «Mais, pour beaucoup, affirmer que le chef de l'État ne briguera pas un second mandat, c'est aller vite en besogne. Même si elle laisse perplexe, la décision d'avancer la tenue de la présidentielle n'est pas contraire à la Constitution.» Retenons «perplexe» pour jouir de cette perplexité dans laquelle ont plongé les services de renseignement de certains pays ainsi que leurs affiliés journalistes. Il faut, dit-on, cinquante ans pour qu'un homme rencontre son pays. C'est le temps qu'a mis Tebboune, après avoir été wali et ministre, pour se présenter aux élections de décembre 2019. Il fut le premier Président élu qui triompha malgré les coups fourrés de toutes sortes, et autres crocs en jambe à vous faire mordre la poussière pour mieux vous piétiner. Devant ces coups bas, ces coups du sort, d'autres que lui auraient abandonné la partie. Pas lui. Parce qu'il connaissait le terrain et parce qu'il avait senti le frémissement en sa faveur de l'opinion qui n'avait pas oublié qu'il fut le Premier ministre qui avait osé lancer une campagne anticorruption. Son limogeage fut la clé de son élection. Victime, il devint le porte-parole de toutes les victimes avec la même ADN que des millions d'Algériens qui se sont reconnus en lui avant de lui donner leurs voix. Pour tous, il fut le premier hirakiste avant même le hirak! «Pour une stabilité durable du pays, je souhaiterais qu'il se représente, et qu'il continue d'autant plus que son bilan est positif...», me confiait il y a quelques mois l'un des derniers combattants les plus cultivés du FLN, un grand ministre de Boumediène qui aimait sa compagnie pour sa culture et sa hauteur de vue. La stabilité, c'est ce que veulent les Algériens dans cette conjoncture où le monde marche sur la tête. Le monde, pas l'Algérie. Ça tient à un fil. À un candidat qui annonce, enfin, sa candidature pour le meilleur. 

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