De l’utilité de la communication dans les élections présidentielles
Posons la question sans tarder: la communication politique a-t-elle un rôle essentiel dans l'élection d'un Président? Les communicants, dont la modestie n'est pas la vertu première, pensent qu'une bonne stratégie de com peut faire élire un candidat au poste de Président mais qu'une mauvaise peut faire perdre, à coup sûr, les élections. Corrigeons: une bonne stratégie de com peut, certes, contribuer - mais contribuer seulement, on est bien d'accord - mais non faire gagner, tant d'autres paramètres entrent en compte. Nous avons parlé de stratégie mais en Algérie, bien souvent, les candidats font oeuvre de tactique croyant faire de la stratégie. Mais avant de revenir à l'Algérie, voyons voir, comme dirait l'autre, ce que préconisent les gourous de la com politique. Prenons Jacques Séguéla, le Français qui a été le spin doctor d'une douzaine de Présidents dans le monde, notamment Mitterrand, candidat heureux et Jospin, alors Premier ministre, candidat malheureux. Pour lui, il y a dix règles de base - dix règles et pas une de plus - à apprendre par coeur pour gagner le coeur des électeurs.
Un: On vote pour un homme pas pour un parti. Autrement dit, «seule est entendue la voix du chef».
Deux: On vote pour une idée pas pour une idéologie. Autrement dit, «ce n'est pas la coloration politique du candidat qui décide de votre choix mais cette ‘'certaine idée'' qu'il se fait de son pays à laquelle les électeurs adhèrent ou non. Ainsi ai-je toujours préféré les projets aux programmes. Les uns sont une vision étayée par des moyens d'action, les autres une énumération de propositions plus ou moins électoralistes».
Trois: On vote pour le futur, pas pour le passé. «Combien de candidats ont chuté pour avoir gaspillé leur temps de campagne en bilans plutôt qu'en idées nouvelles? Les seules ailes du futur sont les ailes du désir.»
Quatre: On vote pour un spectacle, pas pour la banalité. «Ést élu celui qui raconte à son peuple le morceau d'histoire qu'il veut entendre à ce moment précis de son histoire.»
Cinq: On vote pour soi, pas pour un candidat. «Le maître du jeu est celui qui répond aux espérances cible par cible.»
Six: On vote pour le vrai, pas pour le faux-semblant. «Être vrai est la règle absolue. La télévision est un détecteur de mensonges, cette loupe grossissante n'autorise ni ruse ni bluff.»
Sept: On vote pour une destinée, pas pour une banalité. «Un vote est un ticket d'espérance, chacun veut élire l'extraordinaire sans jamais oublier son ordinaire.»
Huit: On vote pour une valeur, pas pour une fonction. «Une élection présidentielle n'est pas un jeu de rôle mais la rencontre d'un homme et d'un peuple unissant leurs volontés, associant leurs attentes, partageant un même idéal.»
Neuf: On vote pour un actif, pas pour un passif. «Nul n'a gagné une campagne sans la faire. Décroche la timbale le proactif qui analyse plus vite, réagit plus vite, repart plus vite.»
Dix: On vote pour un vainqueur, pas pour un looser. «Et cependant est élu le champion qui, plus que son concurrent, veut la victoire.» Il faut juste noter que si c'est Jacques Séguéla qui était dans la lumière auprès de Mitterrand pour ses deux campagnes présidentielles, le vrai faiseur de Présidents, qui avait horreur qu'on parle de lui, est le stratège Jacques Pilhan, avec son binôme Gérard Colé. Les deux étaient à l'ombre du volubile Séguela, auteur de la désopilante phrase culte: «Si un homme n'a pas une Rolex à 50 ans, c'est qu'il a raté sa vie. Lui avait une Rolex. Ce qui ne l'a pas empêché de faire échouer les candidats qu'il conseillait dans plusieurs campagnes présidentielles. Passons.
Quant à Christian Salmon dont le best-seller Storytelling a bouleversé les codes de la communication politique, il pense qu'il y a une formule magique qui permet d'accéder au pouvoir. Voici son carré magique:
1- «Raconter une histoire capable de constituer l'identité narrative du candidat (storyline).
2- Inscrire l'histoire dans le temps de la campagne, gérer les rythmes, la tension narrative tout au long de la campagne (timing).
3- Cadrer le message idéologique du candidat (framing), c'est-à-dire encadrer le débat comme le préconise le linguiste George Lakoff, en imposant un registre de langage cohérent et en créant des métaphores.
4- Créer le réseau sur Internet et sur le terrain, c'est-à-dire un environnement hybride et contagieux susceptible de capter l'attention et de structurer l'audience du candidat (networking)».
Venons-en maintenant brièvement à l'élection algérienne à laquelle nous consacrerons nos prochaines chroniques jusqu'au 7 septembre.
Il y a trois candidats en lice: le président sortant, Abdelamdjid Tebboune, indépendant; le candidat Youcef Aouchiche du FFS de l'historique Aït Ahmed ainsi que Abdelali Hassani Cherif du MSP, du charismatique cheikh Nahnah.
Si on s'en tient seulement au registre de la com politique en oubliant qu'il est le président sortant, Abdelmadjid Tebboune est au-dessus du lot pour plusieurs raisons. Citons quelques-unes. Ex-ministre de la Communication et plusieurs fois ministre, il connaît l'alpha et l'oméga de la communication. Il l'a pratiquée non seulement en théoricien universitaire, loin de la réalité, mais en tant que praticien, ce qui est autrement plus utile et plus formateur. Il a aussi l'avantage d'un nom qui résonne positivement dans la société algérienne depuis les années de plomb (1991) où il fut ministre délégué aux Collectivités locales jusqu'à celui de secours et recours en tant que ministre de l'Habitat à deux reprises. Et c'est là qu'il a acquis un niveau de notoriété unique dans les gouvernements auxquels il avait appartenu. Ce taux de notoriété est l'une des bases de la règle d'or de toute com politique: on vote pour une personnalité connue, jamais pour un inconnu.
L'autre avantage du candidat Tebboune est son staff à la tête duquel il y a Brahim Merad, ex-wali, ministre de l'Intérieur, un homme intègre et travailleur qui saura préparer dans les meilleures conditions tous les meetings de son candidat. Autre atout: le staff com dirigé par Kamel Sidi Said, l'un des rares vrais communicants en Algérie où on prend souvent un journaliste ou un universitaire pour un spin doctor. Avez-vous vu ça?
Quant aux deux autres candidats, aussi valeureux soient-ils, aucun nom connu pour son talent ou son expérience ne ressort de leurs équipes respectives. Rien de grave. Ce n'est qu'une question d'expérience du terrain et de temps. En tout cas, avec Tebboune, ils sont les postulants les plus crédibles à l'élection présidentielle. Ils ont des partis bien implantés derrière eux, avec une bonne surface populaire. Tout pour faire de ces élections un grand moment de ferveur populaire, d'unité et de fusion nationale dans un monde au bord du volcan.