Profession: chroniqueur
Je me suis toujours demandé si j´étais capable de pondre chaque jour un nouveau billet pour meubler l´espace que la rédaction a eu l´amabilité de me céder. L´inspiration est capricieuse, inconstante et volage, et l´angoisse de la feuille blanche est toujours suspendue au-dessus de ma tête comme l´épée de Damoclès. N´étant ni spécialiste des magouilles qui se préparent au sein des partis, de la base au sommet, ni expert de la cuisine politicienne et des manoeuvres sournoises qui se trament dans l´ombre, encore moins analyste des questions internationales de l´économie, de la géopolitique ou de la démographie, n´étant pas non plus un exégète qui traque les lapsus, les sous-entendus ou les clins d´oeil codés d´entre les lignes, je m´efforce donc de taquiner la muse journalistique en essayant par tous les moyens de séduction que je prétends avoir, l´amadouant un jour, la provoquant un autre pour que, en fin de matinée, je pense être arriver à mes fins. J´utilise même la flagornerie, tout cela pour vous dire que la situation d´un chroniqueur n´est guère enviable.
Et ce matin, une idée géniale a traversé mon esprit brumeux usé par des années de travaux forcés d´écriture: puisque notre cher système, qui déborde de démagogie et brille par son talent à brasser du vent, a consacré très souvent des journées à des problèmes que tous services coalisés n´arrivent pas (ou ne désirent pas, on ne sait jamais) à résoudre. Tenez, après la Journée de l´artisanat consacrée à un secteur qui périclite, voilà qu´on va organiser une journée pour le diabète, maladie qui, comme chacun sait, vient d´une panne pancréatique: ce discret organe n´arrivant pas à produire de l´insuline, élément qui équilibre le taux de sucre dans le sang. Quand on sait tous les avatars qu´a connus la production de l´insuline dans notre pays et tous les obstacles posés sur la route d´une production nationale, on se dit quand même que consacrer une journée à tous les malades qui courent après ce remède, serait la moindre des choses: le gouvernement se rattrape un peu. C´est comme si un jour, il consacrait une journée aux gens qui se sont fait arnaquer en achetant des voitures asiatiques qui tombaient en panne, après avoir fait que 200m après leur livraison, en célébrant l´usine Fiat de Tiaret.
Cependant pour la journée du diabète, je suggère qu´on en consacre la matinée au diabète sucré et l´après-midi au diabète insipide, ainsi ceux qui seront intervenus pendant la conférence du matin peuvent faire la sieste pour ne pas écouter les discours insipides de ceux qui ont l´habitude de casser du sucre sur le dos des autres sans y aller avec le dos de la cuillère. Car durant cette journée, on parlera des recherches scientifiques américaines sur le sujet et les progrès qui ont été faits dans le domaine de la thérapie, mais on ne soufflera mot sur ceux qui se sont sucrés quand les lumières étaient éteintes. Bref, sur la lancée, et sachant l´état déplorable du système de santé qui prévaut dans notre pays, on devrait, pour le bonheur de tous les chroniqueurs non inspirés, consacrer une journée à toutes les faillites de la gestion du système: une journée pour les asthmatiques qui sera financée conjointement par le ministère des Transports publics et les importateurs de véhicules polluants, une journée pour l´hypertension qui sera à la charge des importateurs de café, de sucre; de la bureaucratie et du système en général. Une journée pour la polio, une autre pour la tuberculose, le tétanos, les maladies de Parkinson et d´Alzheimer, le côlon. Enfin, toutes les maladies qui n´ont pu être vaincues et qui ne sont pas près de l´être.
Il restera la surdité: trois cent soixante-cinq jours ne devront pas suffire pour faire entendre à nos élus la voix du peuple.