La préparation du 1er Novembre 1954 aux Éditions Sofiane Bennamane
Boudiaf ou le sens de l’Histoire
Ce n’est pas sans émotion qu’on le prend et qu’on l’ouvre. Lui, plus que tout autre. Certes, il y est question de ces années qui ont précédé le déclenchement de la guerre de libération et qu’elles ont préparée. C’est pour cela que le livre a pour titre La Préparation du 1er Novembre 1954.
Ce climat prérévolutionnaire y est peint avec des couleurs si vives que l'on s'étonne presque de ne pas entendre les fusils qui claquent, les balles qui sifflent et qu'on ne voie pas les hommes qui tombent et le sang qui fume et forme des marres.
Mais, nous dira-t-on, pourquoi ce livre qui évoque notre passé cause-t-il autant d'émotion? Serait-il le premier du genre? Serait-il écrit au vitriol, dans un style tel qu'il en a fait un chef-d'oeuvre?
La secousse, la commotion vient peut-être aussi de là. L'auteur a été à la fois acteur et témoin des événements qu'il raconte avec un talent inimitable. Mais, notre bouleversement a une autre cause, une autre origine. C'est l'auteur, c'est son nom qui met dans cet état: Mohamed Boudiaf.
L'homme ne fut pas qu'un grand révolutionnaire et qu'un grand Président à la vision claire et à la politique ambitieuse. Il fut, comme aux États-Unis, le premier président de la République assassiné! Et c'est ça qui bouleverse tant!
Au-delà de ce sentiment violent que l'on peut éprouver en se penchant sur ces pages frémissantes du souffle épique des combats, parmi les fracas des bombes, des obus et les balles qui sifflent, peu à peu nous prenons conscience de la grandeur de cette lutte, de cette cause pour laquelle tous les Algériens réunis étaient prêts à donner leur vie. C'est cette épopée que tente de décrire ce livre de 125 pages, traduit en autant de pages en arabe.
Les raisons
d'un succès
Nous le disions: le livre est beau et il parle, comme nul autre, de choses intéressant notre passé et notre avenir. Quand le passé d'une nation est glorieux, l'avenir d'un pays ne peut être que radieux.
Le défunt Président fut en sa jeunesse, un homme plein de charme et de talent. Ces deux qualités essentielles, l'une étant un don de la nature, et l'autre, le fruit d'une longue pratique du pouvoir, ont forgé son caractère et sa personnalité et fait de lui une figure inoubliable de notre histoire.
Le voilà, autant par sa propre volonté qu'un concours de circonstances favorables, au coeur de cette histoire, après l'avoir écrite à l'encre, puis, comme si cela ne suffisait pas, avec son sang.
Ce charme et ce charisme sont répandus sur toutes ces pages et donnent du prix aux témoignages qu'elles rapportent scrupuleusement par l'engagement de la parole d'un homme hors du commun et d'un homme intègre. Son sens de responsabilité le désigne très tôt comme un chef aimé et respecté. C'est ainsi qu'on le trouve chargé de l'organisation de mouvement comme l'OS aux côtés de Ben Boulaïd et de tant d'autres.
Fin stratège, habile homme, il est l'un des plus grands leaders de la Révolution, comme on le verra plus loin.
La vie d'un militant et d'un chef politique et militaire de première heure, racontée en mots simples et bien choisis, ne peut que susciter l'intérêt et l'admiration. Il faut lire la présentation de l'éditeur et en quels termes élogieux, celui-ci parle de lui.
L'enthousiasme avec lequel il accueille en 2010 le projet d'une seconde édition proposée par le frère du défunt atteste de la qualité de la relation établie avec l'éditeur et l'auteur.
En dépit des quelques remarques qu'il s'était attirées lors de sa parution, La préparation du 1er novembre 54 s'était épuisé en un temps record! Ce succès seul motiverait ce projet. Mais y a plus. Il y a cette interview accordée par Aïssa Boudiaf, le frère du Président à l'hebdomadaire El Khabar et qui viendrait naturellement augmenter le volume de son apport. Et parce qu'il y a cette pièce qui vient compléter l'ensemble, et parce que, à la vie du maquis, racontée par l'un des chefs les plus charismatiques de la Révolution, vient harmonieusement s'arrimer cette partie qui embrasse cette période qui va du retour du guerrier à la maison, jusqu'à la présidence, jusqu'à son assassinat dans l'exercice de ses fonctions, l'ouvrage prend un sens nouveau.
L'amitié de l'éditeur Sofiane Bennamane pour Boudiaf, celui-ci n'étant plus, passe en 2010 au frère qui, s'il ne possédait l'aura de l'aîné, avait lui aussi assez de charme. Ainsi s'expliquait le projet d'une seconde édition portée par le frère du Président mort pour la patrie.
Le pays en ébullition
Si Mai 45 et les massacres de civils, auxquels, désormais, cette date reste attachée dans la mémoire collective, vont servir de catalyseur aux mouvements de contestation qui s'observe ici ou là dans le pays, ils vont convaincre, peu à peu, les chefs de ces mouvements de la nécessité de s'organiser autrement et de passer à la lutte armée. Boudiaf qui opérait avec ses hommes dans le Constantinois était de ceux-là. Seules les armes pouvaient influer sur le cours des événements. Lui et quelques-uns de ceux qui travaillaient à l'avènement de la Révolution, eux voyaient à quoi aboutissaient les manifestations de rues. Non seulement on n'obtenait rien. Mais les réactions qu'elles provoquaient étaient trop coûteuses en vies humaines. Mai 45 par l'ampleur de ses massacres était l'horreur absolue.
Les chefs devenus prudents ne voulaient pas d'un autre mai sanglant. Mais ils ne voulaient pas non plus d'un pacifisme qui ne conduisait qu'à tourner en rond avec les conséquences tragiques que nous savons. Il fallait, coûte que coûte, entretenir la flamme révolutionnaire, ce que Boudiaf appelle «un bouillonnement révolutionnaire» tendant «à transformer une grave crise du Mouvement national en un processus de lutte armée dont l'aboutissement fut la libération de l'Algérie d'une colonisation séculaire.», mais l'arme au poing.
Etant né à M'Sila (23 juin 1919), Mohamed Boudiaf connaissait la région comme sa poche. Mais il y avait une autre raison à son envoi dans le Constantinois: ses dons d'organisation. N'était-ce pas pour cette raison que lui avait été confiée un jour la présidence de l'Organisation Spéciale (OS), fondée en 1947? Qui mieux que lui pouvait, dans une telle organisation militaire tenir un discours en tout point conforme à ses idées? Il faut dire qu'à l'heure où s'écrivait l'une de nos plus belles pages de notre histoire, l'idée n'était pas de convaincre une foule acquise au projet d'indépendance, mais d'adopter de nouvelles méthodes pour faire recouvrer au pays son indépendance: la lutte armée.
Ces idées qui appelaient donc à un durcissement de la lutte contre l'envahisseur avaient valu au président de l'OS deux condamnations. Insaisissable, il avait continué la lutte jusqu'au premier jour du déclenchement de la guerre de libération.
Le livre La préparation du 1er novembre 54 raconte tout cela. Il aborde cette période charnière qui va de Mai 45 (pages 14, 19), au Les préparatifs de l'action (page 70), en passant par la création du MTLD (pages 19, 22), l'OS (pages22, 40) et la réunion des partis (pages 40, 70).
Une fois, le livre lu et reposé, si on ne connaissait pas ce que fut l'homme de l'OS et de novembre, 54, on aura beaucoup avancé dans sa quête et sa compréhension non seulement d'un des artisans de notre Révolution, mais dans celle d'une époque qui a conditionné la suivante qui débouchait sur la lutte armée. Mais si le désir de connaître l'homme qu'était devenu l'intellectuel, le politique en période de paix, il lui faudra lire l'interview de son frère qui va de la page 71 à la page 125.
La guerre, mais avec quelles armes?
Prévoyants, les chefs du mouvement de libération y avaient pensé bien avant. Dans son ouvrage, Mohamed Boudiaf aborde cette question. On était en été et devant la nécessité de s'armer, on avait recouru à une vaste collecte à travers le pays. Le résultat était inespéré. On avait récolté 1 400 000 anciens francs. Ces chiffres sont mentionnés dans le livre. C'était Ben Bella, l'autre Président, qui s'était chargé del'approvisionnement.
L'Egypte, pays frère, s'était offerte de les fournir. Mais quelque chose a cloché au dernier moment, et les armes ne furent jamais livrées. L'intermédiaire n'avait jamais donné d'explication car il ne s'était pas présenté au rendez-vous fixé pour la livraison des armes. On était le 9 aout, raconte l'auteur de Les préparations du 1er novembre 54. Ce jour-là était 9 aout, un jour de fête, l'Aïd El Kébir, y est-il précisé. Pour la réception du matériel de guerre, trois hommes devaient faire le voyage au Rif, les armes attendues devant s'acheminer par l'Espagne via le Maroc. Ces trois hommes étaient Ben Bella, naturellement, Boudiaf et Ben Mhidi. Ils ne verraient jamais ni les armes ni l'argent, sans que le livre accuse personne. Ces armes pouvaient avoir été saisies avant par les services de sécurité.
À la vielle du 1er novembre, le livre fait l'inventaire: 10 fusils, dont certains sans munitions. Evoquant ce moment crucial pour la guerre de libération, son auteur ajoute ceci: «Ben M'hidi, le responsable de la wilaya V n'avait pour tout arme qu'un vieux 7,65, avec deux balles». Loin d'affaiblir la volonté et le courage de nos valeureux moudjahidine, ce manque de moyens, ce dénuement complet, les avaient galvanisés
Le livre est bien fait, bien écrit et les événements, relatés dans le détail font de lui une lecture passionnante. Son auteur qui dénonce chez «ceux qui déforment par intérêt ou par ignorance les faits» s'astreint rigoureusement à la véracité des faits et des événements relatés.
Une iconographie abondante nous montre les cinq leaders politiques à différents moments de leur vie de révolutionnaires (au moment de l'arraisonnement de l'avion en 56, ou après leur libération à l'indépendance). Mais y a d'autres photos où l'on voit Boufiaf avec d'autres personnalités politiques, comme Ferhat Abbas, Mohamed Saïd, Ait Ahmed Ben Khadda, Krim Belkacem, Khider etc. Deux d'entre elles immortalisent les funérailles nationales du Président assassiné. Gloire à nos chouhada.