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Amin Sidi-Boumédiene, réalisateur de «Abou Leïla», à L'Expression

«L'Algérien n'est pas mis en cause...»

Projeté actuellement dans les salles, le réalisateur revient avec nous sur son film qu'il a mis des années pour le faire et dévoile un pan des dessous de sa création artistique et ses intentions à travers son premier long métrage des plus énigmatiques et contemporains sur les traumas de la décennie noire et partant, sur la violence comme phénomène universel de l'humanité..

L'Expression: Tout d'abord quel est votre sentiment maintenant que votre film ait été enfin projeté en Algérie? Un film qui sort aussi dans un contexte assez particulier faut- il le souligner...
Amin Sidi-Boumédiene: Très heureux, évidemment, qu' «Abou Leila» sorte en Algérie, mais aussi très déçu de ne pas avoir pu être présent pour des raisons indépendantes de ma volonté. L'important est que le public algérien puisse voir le film tout comme il est important qu'il ait accès à tous les films algériens produits (qu'ils soient récents ou issus du patrimoine), afin de les apprécier sur grand écran et dans de bonnes conditions de projection. Il semble que le Cadc a décidé de mieux gérer la distribution et de tenter enfin de sortir les films à l'échelle nationale, mais je pense qu'il reste encore beaucoup de travail pour que tout cela fonctionne harmonieusement. À cause de la pandémie, c'est forcément un peu plus compliqué, mais il semble que la sortie s'est bien passée malgré quelques couacs comme des annulations de séances ou de mauvaises conditions de projection.

On dit que votre film aborde la décennie noire. Celle-ci est certes, évoquée, mais le sujet principal semble être cette violence presque «pathologique» qui existerait chez l'Algérien et qui pourrait trouver son origine dans un trauma lointain... en rapport, notamment avec le sacrifice du mouton. Qu'en est-il vraiment?
Question bien trop complexe pour être longuement débattue ici. Le film parle certes d'une violence qui serait comme une maladie contaminant les humains de proche en proche et souvent issue d'un lent processus de détérioration psychique ou d'un trauma originel. Malgré tout, l'Algérien en tant que tel n'est pas du tout mis en cause puisqu'il s'agit d'un processus concernant l'humanité entière. Le film est bien obligé de s'adosser à des éléments purement algériens (comme le sacrifice de l'Aïd ou le discours sur la masculinité) puisque c'est un film algérien évoquant un pan de l'histoire de l'Algérie, mais son intention de départ est au contraire de dépasser les particularités de telle ou telle idéologie ou de telle ou telle région pour montrer que la violence est d'abord instinctive et universelle avant d'être intellectualisée et localisée. La violence est ici vue comme une entité qui a besoin d'exprimer pleinement son potentiel. Son objet (symbolisé ici par la figure d'«Abou Leila») devient alors presque secondaire.

Certaines de vos scènes ont été pensées comme des tableaux/hapening d'art plastique. Expliquez-nous votre démarche esthétique.
La démarche artistique est justement de se sentir libre d'explorer les genres cinématographiques sans se poser de limite si ce n'est celle de la cohérence interne du film. J'ai voulu faire un film «baroque» pour décrire une période qui ne l'était pas moins. Il fallait que l'image retranscrive cette impression de chaos, de résignation et surtout de confusion que l'on pouvait ressentir dans les années 90. J'ai aussi tenté de me tenir en équilibre entre réalisme et onirisme jusqu'à les confondre à la fin du film. Quand on met en scène l'inconscient, il est clair que l'on doit s'attacher à créer des images et des symboles forts, qui sont le langage propre de l'inconscient (mélange de souvenirs, de fantasmes et d'actes refoulés). Cela permet de restituer la réalité de manière détournée, mais en réhabilitant sa complexité. C'est ce qu'on retrouve en littérature et en sciences chez des gens comme Borges, Jung, Milton ou William Bake (dont une citation ouvre le film) et c'est ce que permet le cinéma, qui est un art pouvant se passer de mots et qui se rapproche ainsi du système symbolique et du mythe à l'ancienne tel qu'on le retrouve dans la tragédie grecque par exemple ou chez des auteurs comme Mircea Eliade ou René Girard, dont les théories sur le sacrifice irriguent une partie du film.

La musique ou plutôt le son est un élément intégrant à l'image de façon indissociable. Mention spéciale d'ailleurs pour votre travail lié au son. Comment l'avez-vous pensé pendant l'écriture du scénario?
Le son est pensé dès l'écriture du scénario. C'est un élément bien trop souvent négligé, mais qui est pourtant primordial, surtout, encore une fois, quand il s'agit de traduire l'inconscient d'un personnage. J'introduis donc dès le scénario des intentions sonores qui, parfois «font» la scène (comme par exemple la scène de la déambulation de S. dans l'hôtel, la nuit, qui sans le son ne fonctionnerait pas du tout). Par la suite, en post-production, je m'implique énormément dans la création sonore avec l'aide de mon camarade Nassim EL Mounabbih, avec lequel on a très vite essayé de créer des sons originaux sans jamais tomber dans la surenchère. Le travail commence dès la pré-production (échanges d'idées, de fichiers audio etc.-) puis se poursuit dès la phase du montage image afin de nourrir ce dernier. La post-production d' «Abou Leïla» a été particulièrement courte ce qui, paradoxalement, nous a permis d'aller plus rapidement à l'essentiel et d'être plus créatifs. La musique aussi est travaillée très en amont (dès l'écriture du scénario), mais les choix doivent pouvoir évoluer en fonction du montage. Les morceaux sont choisis avec précision, puis retravaillés, remontés jusqu'à donner l'impression de ne faire qu'un avec l'action ou l'atmosphère visuelle du film.

Trois ans presque séparent la sortie de votre film «Abou Leila» entre le festival de Cannes et aujourdhui en Algérie. Qu'est devenu entre-temps Amin Sidi-Boumediene et prépare-t-il un nouveau long métrage?
Je travaille, en effet, au scénario de mon second film.

La tournée nationale de votre film, vient d'être annoncée pour le mois de septembre pour permettre à toute l'équipe d'être présente en Algérie. y serez vous alors?
Pour la tournée en septembre et avec ce monde en constante évolution à cause de l'épidémie de Covid, il est difficile de se projeter, mais si, bien entendu, si la chose s'avérait faisable, je viendrais avec plaisir présenter le film. 

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