L'Expression

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Lynda Chouiten (Écrivaine)

«L’écriture féminine est un combat»

Qu’est-ce qu’être une femme écrivaine en Algérie? Lynda Chouiten, écrivaine, tente d’y répondre dans cet entretien. Lynda Chouiten est lauréate du prix Assia Djebar du meilleur roman en langue française en 2019 pour son roman intitulé Une valse», paru chez Casbah éditions. Elle a obtenu son doctorat en littérature à Galway, (en Irlande) grâce à une bourse obtenue du gouvernement irlandais. Elle enseigne à l’université de Boumerdès.

L'Expression: Comment les femmes algériennes vivent-elles leur statut d'écrivaine dans la société, dans la famille, dans le milieu professionnel?
Lynda Chouiten:Je crois que c'est un statut assez ambivalent: en général, les femmes qui écrivent sont respectées, voire admirées, car elles sont associées à l'instruction et au savoir, qui sont, on a beau dire, tenus en haute estime chez nous, même dans les milieux conservateurs. Cela dit, l'écrivaine doit toujours fournir la preuve que c'est une femme «ordinaire», malgré tout; une femme qui s'occupe de son foyer, qui prépare à manger, qui se plie aux codes de la morale féminine et qui reste humble, surtout. Car tout en étant admirée, une femme qui écrit est aussi une femme qui enfreint les codes traditionnels de la féminité: d'abord, parce que l'écriture ne fait pas partie des rôles qu'on assigne habituellement à la femme et ensuite, parce que ce qu'elle écrit peut remettre en question certaines traditions; certaines mentalités. C'est pourquoi l'écrivaine, chez nous, doit souvent rassurer sur le fait qu'elle ne s'est pas vraiment éloignée de l'ordre établi pour éviter les jugements désapprobateurs. D'ailleurs, cela n'est pas vrai que pour les écrivaines: tous ceux qui s'éloignent des normes fixées par la communauté risquent d'être vus d'un mauvais oeil; or, une femme qui écrit est justement une femme qui s'éloigne de ces normes.

Qu'est-ce qu'être une femme écrivaine en Algérie?
Parce qu'écrire n'est pas ce qu'on attend généralement d'une femme, parce que, comme je l'explique dans ma réponse précédente, cette activité empiète sur des tâches plus conventionnelles, et parce que l'écriture bouscule (souvent) certaines certitudes et pointe du doigt certaines vérités qu'on préférerait ne pas voir, écrire est souvent synonyme de combat. Encore une fois, cela est vrai pour les hommes et pour les femmes. Mais ça l'est encore plus pour une femme parce que le courage et l'audace sont, dans l'imaginaire patriarcal, des vertus aussi masculines que l'acte d'écrire lui-même; parce qu'une femme est censée se taire, au lieu «d'écrire tout haut» ce qu'elle - et peut-être tout le monde - pense tout bas. La célèbre phrase de Kateb Yacine, qui affirme «qu'une femme qui écrit vaut son pesant de poudre» résume parfaitement l'idée exprimée ici - celle qui voit l'écriture féminine comme un combat.

Y a-t-il une certaine pression à subir et à devoir gérer du fait que l'on soit femme écrivaine dans la société algérienne?
Cela dépend du milieu dans lequel évolue l'écrivaine, mais dans l'ensemble, je pense qu'il y a des pressions de différents types. D'abord, celle du cercle familial, qui ne voit pas toujours d'un bon oeil le temps que prennent l'écriture et le travail de promotion - les ventes-dédicaces et les rencontres littéraires. Ce temps empiète forcément sur celui que passe la femme avec sa famille, et c'est particulièrement problématique quand l'écrivaine est mariée et a des enfants. Il y a des écrivaines qui déploient des trésors de diplomatie et d'organisation pour concilier les activités liées à l'écriture et leurs obligations de mère et d'épouse. Il y a aussi d'autres choses à gérer. Devenir écrivaine sous-entend devenir un personnage public, et toutes les familles ne sont pas forcément contentes de retrouver la photo de «leur écrivaine» dans les médias.
Fort heureusement, les choses changent. Enfin, l'écrivaine subit plus les pressions de la société concernant le contenu de son oeuvre. L'idée selon laquelle les femmes devraient éviter d'aborder certains sujets «sensibles» - appelons-les ainsi - est encore assez répandue, et les femmes sont sommées de faire deux fois plus attention à ce qu'elles écrivent que leurs homologues masculins.

La vie de la femme écrivaine avant d'être publiée et après, change-t-elle?
La vie d'une femme - et de toute personne, je suppose - change après la publication d'un livre, sans pour autant être complètement bouleversée. On sort de l'anonymat, et on est donc forcément beaucoup plus sollicitée. Il faut consacrer du temps non seulement pour l'écriture elle-même, mais aussi pour les différents événements littéraires, les entretiens, d'éventuelles émissions télévisées ou radiophoniques et des contributions écrites de toute sorte. S'il nous arrive de rencontrer un quelconque succès, on est contactée par de (plus) jeunes plumes qui voudraient qu'on les conseille, qu'on les oriente, qu'on lise leurs manuscrits. Tout cela est aussi passionnant que prenant; on s'y lance avec beaucoup d'enthousiasme au début, puis on finit par se rendre à l'évidence: ayant d'autres obligations, on ne peut être partout. On fait le point sur nos priorités et on ralentit un peu la cadence. Mais que ce soit dans la frénésie du début ou dans l'étape, plus sereine, qui lui succède, l'expérience de l'écriture (et de la publication) est une expérience fascinante.
Lire les impressions - dans mon cas, souvent gratifiantes - de ses lecteurs - et partager des moments avec eux et avec ses pairs, que ce soit en vrai ou dans un espace virtuel, est un plaisir sans cesse renouvelé.

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