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Rue des tambourins de Taos Amrouche

Roman autobiographique ou autobiographie romancée?

Mais alors que la question de son classement dans un genre ou dans un autre reste pendante, pour nous, il reste que si l'on se rapporte à la préface écrite par Denise Brahimi, pour cette édition, c'est bien d'un roman autobiographique qu'il s'agit. En d'autres termes, et sauf erreur d'interprétation de notre part, l'auteure a écrit sa propre biographie en arrangeant les faits à la manière d'un roman.
De quoi s'agit-il?
D'une famille algérienne, ou plutôt d'une famille kabyle qui fuit le pays, non à cause de la guerre-il y a ici ou là des soulèvements, certes, mais à l'époque où se passe cette histoire, on ne peut pas parler de guerre. Cette famille fuit des créanciers. Nous sommes en 1920, une date qui n'est pas mentionnée spécialement dans ce roman, mais un repère temporel nous permet de dater ce récit avec précision. Taos est née en 1913. Or au moment où commence ce récit, celle-ci nous apprend qu'elle a onze ans. La famille est nombreuse et tous ses membres portent un nom français. Taos s'appelle, Marie Corail, ou Kouka. Le grand frère-Charles, dit le Prodigue, est marié à une femme, Emeraude, qu'il n'aime pas, mais que pourtant, il rend enceinte. Les autres frères ont pour noms Laurent, dit le Prodige, Georges, le Rieur, Nicolas le Modeste, le petit Marcel, dit le Ramier et le tout petit, Luc, qui deviendra plus tard le Taciturne. Tout ce monde est installé en Tunisie et le restera de 1920 à 1935. Le roman s'ouvre sur cette phrase: «Nous sommes à un tournant de notre histoire.». Le motif est assez sérieux pour que Taos Amrouche ait choisi cette date pour commencer son récit. Onze ans, comme si les autres années, ne comptaient pas. Comme si nous avons toujours connu cette famille et toujours vécu en son sein, et qu'en se confessant à nous, l'auteure qui n'est pas une inconnue à nous, s'adresse à des familiers. Elle peut donc prendre son récit par n'importe quel bout, elle sait qu'elle sera comprise et aimée. La première partie-l'auteure préfère cette organisation du récit en parties et non en chapitres-se place sous le patronage de Gida, «l'aïeule» qui mène toute la maisonnée à la baguette.Ce n'est pas par hasard sila narratricetitre cette partie ainsi: Tenzis, où le règne de Gida. Les enfants qui paressent plus longtemps au lit (et mal leur en prend s'ils le mouillent) en savent quelque chose. Elle est la seule dans la famille à ne pas parler français. Entre elle et Yemma la guerre pour la prise de pouvoir est ouverte, mais encore sourde. Ce soir où toute la famille est réunie autour d'un«melon d'Espagne d'un jaune acide», il n'y a d'heureux que le petit Marcel qui en profite pour s'en mettre plein la panse. Un drame couve, et seule, parmi les membres de la famille, Marie Corail (Taos) en a conscience: Charles, l'aîné qui devrait ouvrir une épicerie dans la rue Tenzis, s'en va pour toujours, abandonnant sa femme enceinte. La seconde partie s'intitule Sfar où le règne de Yemma. Et là encore, ce n'est pas un titre anodin. Il résume parfaitement ce qui suit. Gida que l'on a désespéré de voir se convertir à la foi chrétienne, tenant à la religion islamique, comme à la terre natale, est retournée au «pays». Et le cours d'histoire qu'elle donne un jour à Marie Corail qui la défend et même l'aime est révélateur de cet attachement à la terre qui l'a vue naître et à la religion. Un jour se promenant avec l'enfant, elle lui montre au cimetière le grand- père et l'arrière- grand-mère couchés côte à côte. «Vous, dit-elle, pour plus tard, c'est de l'autre côté», en montrant un coin libre.». Cette partie est un peu plus longue que la première et permet donc au narrateur qui est Marie Corail, surnommée Kouka, comme tous ses frères, de revenir longuement, dans le détail sur cette période où la famille Iakouren n'habite plus rue des tambourins, à Tenzis, mais rue des sirènes, à Sfar. On lui doit de mieux connaître ces deux villages tunisiens ainsi que les Meirs de cette époque.
Nous ne devons pas, en effet, que de belles descriptions de paysages, à Taos Amrouche, qu'il s'agisse de Tenzis où la famille Iakouren s'était établie en 1920, ou de Sfar, où une nouvelle vie semble avoir commencé pour cette dernière en 1925, mais aussi de beaux portraits, ceux, notamment de ses parents, de sa grand-mère, de ses frères. Ã Sfar, un village à une quinzaine de km de Tenzis, l'air est plus pur et les perspectives plus vastes. Dans sa quête de nouveaux amis, la fille Marie Corail fait connaissance avec une fille russe du nom de Daria. Daria est une fille attachante qui se rend en ville, fait des achats pour elle, ne se rend antipathique que sur un seul point: elle ment, comme elle respire. À propos de souliers couteux par exemple, elle fait deux versions différentes où le prix change ainsi que celui qui a fait ce cadeau. Tantôt, c'était un cadeau d'anniversaire à 45 francs, offert par sa mère, tantôt c'est le cadeau d'un cousin qui fait sa médecine à Tenzis. Marie Corail fait de ses amitiés contractées à Sfar, une jolie rétrospective à la fin de cette deuxième partie. Presque toutes mariées ou sur le point de l'être. On retrouve Daria, naturellement et son cousin Sacha, devenu médecin à Tenzis (Le cadeau à 75 francs n'était donc pas une fable?), Lili et son pilote militaire en Indochine avec lequel elle correspondait, Djamila aux noces de laquelle elle avait assisté avec d'autres amies, Marie-Jeanne qui avait finalement accepté de devenir la femme d'un veuf plein d'attention pour elle et sa mère malade.
Taos et ses nouveaux amis
Et puis, il y en a d'autres encore qu'il serait vain de vouloir citer toutes. Mais comment oublier dans cette galerie de portraits hauts en couleur la figure aimable de Gdoura, le jardinier de Nesto, que sa misérable cabane ne répugnait pas, ni la maigre pitance que lui servait sa femme. En fréquentant ces pauvres gens, comme ce pauvre Mahloud que son père a amené du village kabyle et qui mettra tout son talent de jardinier au service de la famille, lorsque celle-ci ayant renoncé à ses rêves de s'installer à Kairouan, acquerra la propriété de Nesto, un vaste verger d'orangers. Ces escapades cessent le jour de l'obtention du certificat d'études. Le père découvrant que sa fille devenait une femme, ordonne que celle-ci doit cesser de se promener seule dans les rues du village en toute liberté. C'est le temps aussi où il s'astreint à la fin de chaque été à un voyage en Kabylie, histoire de renouer avec ses racines. Ces retours au pays enchantent notre héroïne qui retrouve Gida qui lui manque, mais d'autres parents comme l'oncle Akli et tante Touma. C'est une évasion que la famille s'offre ainsi chaque année et qui finit toujours en adieux tristes. Mais Sfar n'est pas Tenzis et si le climat familial demeure tout aussi tendu (cette fois, la dispute, c'est entre le père et sa mère qui parle de chercher un emploi), il reste que la vie est plus agréable. Pour Marie Corail, surtout, qui croit déceler des traces de «ces Edens perdus», c'est-à-dire sa chère Kabylie qui dort dans le coeur de chacun des membres de sa famille. N'est-ce pas pour cette raison qu'Emeraude est retournée au pays et que le père qui pense pouvoir y attirer Charles pour le réconcilier avec sa femme, parle de réhabiliter l'ancien moulin à olives? Projet mort- né et qui n'excite pas Yemma.
Une vraie histoire d'amour?
Le narrateur lui consacre les deux dernières parties du roman: entre Noël et Bruno, et le dernier septembre, lesquelles auraient pu n'en faire qu'une, car, le récit, presque tout en dialogues, ne parle quasi exclusivement que de Marie Corail et de ce qu'on a d'abord cru une rivalité entre deux amoureux, Noël et Bruno. Et longtemps tenus en haleine par les sentiments ambigus de la fille des Iakouren, nous nous sommes demandé qui l'emporterait dans son coeur. Bruno avait la fougue et l'impétuosité de sa jeunesse, mais Noël possédait le charme et la sagesse de son âge d'homme mûr. Et comme le style lui-même, tout en phrases courtes enfiévrées, changeait pour être au plus près des trois personnages dans leurs échanges rapides, ce ne sont pas les deux parties précédentes qui sont les seules oubliées, mais, réveillés nous-mêmes à la suite de ce brusque coup de théâtre, depuis que l'enfant se découvre femme, comme après un coup de baguette magique, nous ne voyons dans ces deux dernières parties de l'ouvrage qui lui sont consacrées qu'une séparation arbitraire. C'est comme une course d'obstacles. Elles agacent le lecteur emballé, emporté par le récit. Conçues pour aller ensemble, elles se seraient fondues harmonieusement sans transition.
Mais cette manoeuvre qui consiste à brûler les étapes, même dans un roman qui, en livre de poche eut fait plus de 400 pages, est-elle vraiment sans danger? Cette fièvre qu'on ne connaissait pas à l'héroïne dans les pages précédentes et où elle tombe constamment dans les deux suivantes, n'en est-ce pas la conséquence directe? Mieux préparée à cette étape ultime, le passage de l'enfance à l'adolescence, puis de l'adolescence à l'âge adulte n'aurait-il pas été plus réussi? Certes, nous n'oublions pas que Kouka vit dans une famille déracinée et menacée de nouveau par l'éclatement et l'exil. L'auteure, elle-même fait ici une oeuvre biographique. Elle est tenue de se plier aux lois du genre. Mais, encore une fois, il ne s'agit pas de cela, mais des deux dernières parties du roman: fusionnées, elles eussent gagné en netteté. Quoi qu'il en soit Kouka est à vingt ans une femme. Et elle n'a toujours pas de prétendants.
Toutes ces amies, on l'a vu, se sont rangées. Toutes ont un mari plus ou moins à leur convenance ou à leur goût. Mais Kouka? Kouka qui, au début de cette histoire, se doutait que quelque chose n'allait plus pour eux, alors que pour fixer Charles, le père et la mère pensaient qu'il suffisait pour cela d'une femme et d'un petit commerce, rue des tambourins. Kouka, que ses fugues d'enfant espiègle, entraient loin du foyer familial sans autre raison que de se familiariser avec des gens qui lui rappelaient ceux de son village natal. Kouka et ses amies qui la quittaient toutes, les unes après les autres pour suivre leurs destins de femmes? Devenue institutrice, Kouka rêvait du prince charmant, celui qui viendrait la délivrer de ce charme qui l'endormait. Elle a vingt ans. À cet âge et en ce temps, c'est un peu limite, non?
Et le même père qui a décrété un jour la fin des escapades, annonce un soir à sa femme qu'il est temps pour Kouka d'avoir un mari. Kouka crut le trouver en Noël, ce garçon de dix ans son ainé qu'elle appelle monsieur Duparc. Le long échange, qu'ils ont eu un jour et qui commence page 212 montre, à l'évidence, qu'ils ne sont pas faits, l'un pour l'autre. Et voici ce qu'à la fin la jeune institutrice écrit à ce sujet page 333: «Qui», demanda Bruno qui, devinant un rival dans le coeur de Kouka sur lequel il croit régner sans partage, veut savoir? -Noël, répond Marie Corail. Je ne le reverrai jamais. La maison est vendue.» La maison dont parle la narratrice est celle de la famille des Parc. Noël ne revient voir sa mère, Mme Hidalgo, qu'au printemps. Kouka qui a d'abord fait connaissance avec la mère, à force de fréquentation, a fini par rencontrer son fils. Une grande amitié est née entre les deux jeunes gens... Noêl a dix ans de plus qu'elle. Il se plaisait beaucoup à Sfar et en sa compagnie. Bruno, le garçon du village d'en haut, a deux ans de moins. Il l'avait rencontrée dans un verger à mi chemin des deux villages. Mais on sent que c'est une victoire à la Pyrrhus. Jamais Kouka n'aurait prononcé le mot d'adieu (page page 330), si Noël ne l'avait prononcé avant elle sur un ton définitif. «Adieu, Noël, adieu petite Kouka» a-t-il lancé (page 316), même s'il devait se revoir une dernière fois. 

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