L'Expression

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Le rhapsode de la musique populaire et du sahraoui, Rabah Driassa, nous a quittés

Un astre dans le ciel de la chanson engagée

«Laisser à la postérité une de mes pensées en bronze ou en marbre, devant laquelle d'autres artistes viendraient rêver plus tard, tel était mon rêve, à moi!» Alexandre Dumas

Commencer cet hommage posthume par une citation de valeur, comme celle-ci, d'un grand auteur nommé Alexandre Dumas, n'est pas de trop pour la mémoire de celui à qui nous venons à peine de faire nos adieux, le vendredi 8 octobre. De son vivant, il aurait apprécié cet extrait comme un partage, sous forme d'offrande. Il aurait dit, certainement, la même chose car, connaissant sa générosité, sa dévotion, son altruisme, son affabilité et sa courtoisie, l'artiste humble qu'il était, ne pouvait se permettre - alors qu'il était au zénith de son renom -, de vivre seulement pour lui, en entretenant sa carrière et en améliorant ses rentes, comme un insatiable gourmand... Il vivait pour les autres, carrément. Un homme de bienfaisance, ce Rabah Driassa, que l'Histoire de l'art saura mettre au pinacle de la gloire, aux côtés de ces sommités nationales et internationales qui ont donné, à leurs pays et au monde, le maximum d'eux-mêmes et laissé des traces indélébiles qui les font immortels, dans l'Histoire. N'est-ce pas, pour cela, qu'un hommage au niveau de sa stature nous oblige d'aller dans le détail pour le situer aux jeunes qui doivent tout savoir de l'encyclopédique de son temps?
Ainsi, et comme il est de rigueur pour marquer notre compassion à l'éminent personnage que nous venons de perdre, nous commençons cet hommage posthume en le situant dans son monde, celui qu'il a aimé, et qu'il n'a pas quitté jusqu'à son dernier souffle. Oui, le talentueux chanteur, auteur, compositeur, Rabah Driassa a aimé sa Cité, par-dessus tout, comme tous ces «Blidéens qui sont connus pour l'amour des roses et des belles choses et dont beaucoup étaient comédiens, musiciens et surtout chanteurs d'andalou», comme l'affirmait notre ami Bari Stambouli.
Effectivement, c'est dans cette ville, qu'on surnomme communément «Ourida» (la rose), celle qui illustre le mieux l'art de vivre aux douceurs provinciales, et où se cultive en s'entretenant un monde florissant de savoir-faire, sous les piémonts du mont Chréa, qu'est venu au monde, en août de l'année 1934, Rabah Driassa qui, depuis sa prime jeunesse, s'affichait dans le fabuleux monde de l'art et de la culture.

Les cinq frères de Driassa
Ainsi, comment n'allait-il pas s'engager dans ce climat propice, pareil à ce champ magnétique qui l'attirait et le propulsait dans la mélodie, le pinceau, la ciselure, la calligraphie et la miniature? Oui, comment n'allait-il pas s'éprendre d'un environnement propice à l'élévation de l'esprit dans sa ville natale, qui se caractérisait, dans le temps, par une juste renommée qui la consacrait creuset d'une ambiance harmonieuse où une floraison d'artistes se disputaient leur ascension dans diverses spécialités?
Mais voyons d'abord les débuts, de l'adolescent orphelin Rabah Driassa, s'engageant dans une longue odyssée laborieuse, mais passionnante, pour assumer la prise en charge de ses cinq frères, à un moment difficile où le pays souffrait des affres de la colonisation, doublées de séquelles, au sortir de la Seconde Guerre mondiale et des massacres du 8 mai 1945. Il a suivi le métier de graveur sur verre. Et, en persistant dans cette charge ardue, il a réussi son voeu en s'adonnant à sa première passion qui était la peinture. Il s'est 'acheminé ensuite vers la miniature, un art cultivé depuis les temps anciens et qui fait partie intégrante des identités sociales et culturelles de plusieurs sociétés. Ainsi, en bon autodidacte, il s'est inspiré d'un grand nom, Mohamed Racim, calligraphe-miniaturiste de génie, l'un des pionniers de cet art en Algérie et l'un des artistes les plus célèbres au monde. De là, l'assiduité du jeune Rabah Driassa, sa rigueur au travail et son excellent rendement, lui ont permis d'exposer ses oeuvres chez lui, à Blida, ensuite à Alger où il a été récipiendaire du «Prix Jules Ferry». Mais Rabah l'ingénieux, ne s'est pas arrêté à ce stade pour dormir sur ses lauriers. À dix-huit ans, en 1952, son dynamisme lui a permis, de par ses belles réalisations, d'être convié au Salon des artistes algériens et orientalistes à Paris, ensuite à Metz, à l'occasion du jumelage entre cette dernière - Metz - et sa ville natale, Blida. Il a exposé également en Espagne, en cette même année.
C'est après cet important succès pour ce jeune, plein de dynamisme et d'ambition honnête, qu'il s'est inscrit en droite ligne dans l'art musical. Il a commencé d'abord, par s'intéresser à la chanson. Nous étions en 1953. C'est là, qu'il a séduit en écrivant de beaux textes pour de nombreuses vedettes de l'époque. Et puis, entraîné par ses propres paroles, «pourquoi, se disait-il, ne pas tenter de les chanter moi-même?». En effet, il a franchi le Rubicon, en allant trouver le maître incontesté, Mohamed El Habib Hachelaf, dans sa célèbre émission-radio «Men Koul Fen Chouiy», ce maître dont les écrits figurent au répertoire de grands interprètes.
Il faut dire que Rabah Driassa avait également de grands mentors, à l'image de ces muses de l'Àntiquité, dans cette ville des roses qui a produit une quantité appréciable d'artistes de renom qui ont bercé notre jeunesse par des mélodies inoubliables et par des oeuvres picturales de grandes factures.

Mustapha Kechkoul et Abderrahmane Aziz
Ces géants de l'art dans leurs spécialités - qu'on écrit en majuscule - sont les Dahmane Ben Achour, à la voix envoutante et son inséparable violoniste, le célèbre Hadj Medjber, et Hadj El Mahfoudh, le maître de la chanson andalouse, et son épouse Baya, la grande artiste-peintre à laquelle nous ajoutons, sans hésitation, les autres artistes Souhila Belbahar ou Denis Martinez qui a vécu à Blida avant de rejoindre Alger pour ses études à l'École supérieure des Beaux-Arts.
Ainsi, pour ce qui est de la chanson, il est certain que Rabah Driassa a bien suivi leur chemin tout en excellant dans la présentation de ses chansons, pour décrocher, haut la main, le titre de «rossignol de l'Algérie», sous les auspices de maîtres célèbres de la chanson. Les Mustapha Kechkoul, Abderrahmane Aziz, le pianiste émérite Mustapha Skandrani, et tant d'autres, chacun dans sa spécialité, n'ont pas été en marge de ce succès de Rabah Driassa, ils l'ont aidé, évidemment, dans son cheminement vers la réussite.
Nonobstant, tout ce qui précède, on peut dire que lui aussi, a joué son rôle, convenablement, assidument, une fois bien assis sur le trône de la chanson, pour s'améliorer davantage et créer un genre nouveau, fait de «alaoui» et de «sahraoui». Et, une fois notre indépendance reconquise, l'artiste Rabah Driassa s'en est allé rejoindre les célébrités de la chanson, non sans innover dans son style, un amalgame de versions patriotiques et de charme. De là, son succès n'a fait que croître au milieu d'un grand public subjugué par la nouveauté des rythmes et par le contenu des textes qui touchaient droit aux problèmes de la société. Ceci dit, il n'ignorait pas la jeunesse, cette frange importante de notre population, et ne mésestimait pas le style moderne pour s'adresser à elle. Ainsi, en tant qu'ambassadeur de la chanson, il participait à plusieurs tournées en Europe, chez notre diaspora algérienne, de même qu'il était bien présent aux semaines et autres manifestations culturelles dans, pratiquement tous les pays arabes: l'Irak, l'Égypte, la Syrie, le Koweït, l'Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, le Liban, ainsi que les pays voisins, le Maroc, la Tunisie et la Libye. De même, qu'en 1975, en pleine course vers la consécration, et pendant que ses chansons à succès ne se comptaient plus, l'Olympia, la mythique salle du boulevard des Capucines, à Paris, lui a fait appel pour l'ouverture d'une série de galas réservés aux vedettes du Monde arabe, pour la première fois. Quelque temps après, il a marqué, de par sa forte présence, le Festival international de Carthage, où sa chanson «Nedjma kotbiya» a été accueillie par un grand triomphe. Quelle aubaine pour Rabah Driassa qui, d'innovation en innovation, a réussi par s'imposer en cette occasion où il présentait de nouvelles chansons qui ont rencontré le meilleur accueil auprès du public! Que dire encore de cet infatigable artiste? Tout simplement, qu'il poursuivait son odyssée avec de nombreuses et belles chansons venues droit du terroir, pour marquer son temps, et laisser son inaltérable empreinte dans ce chapitre de la musique algérienne, avec de nombreux succès comme: «Yahyaou wlad bladi», «Hizia», «Mabrouk‘Alina», «El Goumri», «El Aouama» et tant d'autres.

Une chanson sur l'Émir Abdelkader
En conséquence, l'Édition Atlas, afin d'enrichir son catalogue avec un disque compact, va puiser en avril 2003, dans les fameuses chansons de Rabah Driassa: «Ya Abdelkader», une chanson sur l'Émir Abdelkader, de même que la toute première chanson, juste après l'indépendance, «Hizb Ethouar», ensuite celle de «Quesset Sidna Youcef», et enfin en hommage au grand poète Sidi Lakhdar Ben Khlouf, «Quasidet ya Ras Bnadem» qui a été enrichie par les propres paroles de l'artiste et ses arrangements musicaux.
En effet, que dire encore et encore de cet artiste aux grandes qualités morales, poétiques et professionnelles, de celui qui séduisait toujours par sa délicatesse, son aménité, et qui ne tenait pas à rejoindre l'au-delà, sans déposer ici-bas, sa marque de meilleur auteur-compositeur, parmi les meilleurs de notre cher pays? Eh bien, il faut dire la vérité; dire qu'il a toujours été l'artiste sincère lorsqu'il s'exprimait, «comme est claire l'eau qui court.» pour paraphraser l'écrivain Charles Régismanset, de même qu'il a marqué la scène musicale par son style unique, et qu'il jouissait, de son vivant, d'une réputation nationale et internationale irréprochable, qui démontrait la hauteur de son nom et l'excellence de son parcours artistique.
Ainsi, la mort de l'artiste, peut-elle signer aujourd'hui la fin de sa carrière? Absolument pas! Car, qui peut oublier, demain, dans le futur et son lointain, les airs séduisants, envoûtants, de Rabah Driassa qui sortaient du plus profond de lui-même, et qui, jusqu'alors, bercent des foules de mélomanes dans tout le pays et ailleurs où sa notoriété a atteint les sphères de la splendeur et de la célébrité? Personne, bien sûr, à condition que la valorisation du travail de l'artiste après sa mort, soit une mission qui doit se poursuivre, consciemment, assurément, par les institutions de la culture, pour que ses oeuvres qui faisaient le bonheur des masses ne disparaissent pas ou, à tout le moins, ne sombrent pas dans le monde de l'indifférence, voire de l'oubli. Car, le legs culturel et artistique laissé par des sommités, comme Rabah Driassa, doit être entretenu - en un devoir de mémoire - parce qu'il fait partie de notre patrimoine national...
Alors, Rabah Driassa continuera d'exister dans la mémoire collective, par sa brillante voix et son altière prestance sur scène... Il demeurera constamment dans nos coeurs Inch ‘Allah..., parce que «Nedjma Kotbiya» est toujours là, et «les autres étoiles, même si elles brillent très fort, n'estomperont jamais l'étoile polaire.»

À Dieu nous appartenons, à Lui nous retournerons.

De Quoi j'me Mêle

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