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Amar Mohand-Amer, historien, chercheur au Crasc, à L'Expression

«Les centres d'archives sont une vitrine»

Directeur de la Division socio-anthropologie de l'histoire et de la mémoire au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle Crasc, Amar Mohand-Amer revient dans l'entretien qu'il nous a accordé, sur l'importance stratégique des archives, dans le façonnement d'une mémoire collective.

L'Expression: Vous avez publié, avec d'autres historiens, une lettre ouverte adressée au président de la République, Abdelmadjid Tebboune. Pourquoi maintenant?
Amar Mohand-Amer: Cette lettre, bien médiatisée, avait pour objectif d'informer publiquement les pouvoirs publics de la situation désastreuse dans laquelle se trouve le secteur des Archives nationales.
Cette situation perdure depuis au moins une décennie. C'est également le cas dans les archives des wilayas. On voit bien que cette institution et ses antennes régionales se ferment de plus en plus à la recherche.
Cette action n'est pas nouvelle ni exceptionnelle.
Les historiens, chercheurs et journalistes ont, depuis plusieurs années, dénoncé cet état de fait et mis en garde contre les conséquences néfastes de la mise sous séquestre des Archives nationales, pour la recherche ici en Algérie et pour l'image du pays à l'étranger. Les centres d'archives sont une vitrine. C'est important de le rappeler. Aux premières décennies de l'indépendance, l'Algérie était à l'avant-garde dans ce domaine. Il y avait une vision, celle de doter le pays d'une tradition et d'institutions au diapason de ce qui se faisait le mieux dans le monde. C'est un des héritages de la guerre de Libération nationale, où le FLN historique se battait pour constituer un Etat.
Dans ce contexte, les Archives étaient considérées comme un des ferments de cet Etat révolutionnaire. Vous constatez la régression dans ce domaine, c'est triste et tragique.

Vous estimez donc que le directeur des Archives nationales refuse justement d'ouvrir ces Archives aux historiens et plus largement au public?
Il ne refuse pas directement, c'est plus subtil. Les dispositions bureaucratiques et la gestion de ce secteur font que nous sommes très loin d'une pratique normale qui permet une libre consultation des archives. N'oublions pas qu'une réglementation régissant l'usage des archives existe, mais n'est pas appliquée.
Il est inconcevable que nous devions déposer une demande écrite pour consulter des archives librement communicables!!! Après le dépôt de la demande (ce qui est incongru pour des fonds librement communicables), toute la «magie bureaucratique» se met à fonctionner, dans le mauvais sens, précisons-le: le chef de service est absent, il faut attendre, la demande est en cours d'étude. C'est ubuesque.
Autre chose, nous sommes en 2021 et on nous rétorque encore que des fonds qui datent depuis plus d'un demi-siècle, et même plus, ne sont pas encore traités, donc incommunicables. Vous voyez bien que ces artifices empêchent et démoralisent les chercheurs. Est-ce le but?
Je pense que cette situation renvoie à un état d'esprit, celui de l'infantilisation des citoyens algériens. L'Etat ou plutôt ceux qui ont la charge de ce secteur estiment que c'est à eux de décider de ce que les chercheurs doivent utiliser ou pas. On constate bien que nous sommes dans une dialectique très pernicieuse. L'administratif commande le scientifique.

Qu'en est-il des travaux réalisés en Algérie en matière d'histoire et de mémoire?
Je vous invite à vous intéresser à ce qui se fait par exemple au Crasc d'Oran sur les questions mémorielles, mais aussi dans les universités algériennes. Maintenant, la visibilité de ces travaux est très insuffisante tout comme le nombre, à mon avis, très modeste de chercheurs en histoire. La rétention des archives en est une des causes. Beaucoup de jeunes sont rebutés par ces pratiques qui n'honorent pas le pays.

Que pensez-vous des préconisations du rapport Stora et la décision de Macron de faciliter l'accès aux archives pour les chercheurs au sujet de la guerre d'Algérie?
Tout ce qui va dans le sens de l'ouverture et de la facilitation de l'accès aux archives est à encourager. Dans le rapport de Benjamin Stora, il est aussi question de rendre la consultation et le travail sur les archives conservées en France moins problématiques pour les chercheurs algériens; ce qui est le cas aujourd'hui pour des raisons administratives et matérielles. Rappelons que des kilomètres d'archives sur l'Algérie se trouvent en France.
Il nous faut comme je le dis souvent une armée de chercheurs bien formés pour restituer cette histoire et permettre aux jeunes historiens et aux chercheurs des autres disciplines de travailler sur ces fonds dans de bonnes conditions. La recherche en histoire est ardue et demande beaucoup de temps et de moyens.

Quelles sont les voies permettant la réconciliation des mémoires entre l'Algérie et la France?
Je ne crois pas à la notion de «mémoires réconciliées» car chaque société a son propre rapport avec le passé. Celui des Algériens n'est pas le même que celui des Français. La colonisation a été une période tragique et dure pour l'ensemble des Algériens. Ses stigmates sont encore très présents jusqu'à l‘heure actuelle. Par ailleurs, la montée fulgurante des idées extrémistes en France et la droitisation de plus en plus prégnante du débat public sur cette période (colonisation) ne va pas dans le sens d'un apaisement des mémoires. Peut-être, faudrait-il aller dans la promotion d'une recherche qui ouvrirait des perspectives nouvelles dans le sens où les chercheurs, notamment les jeunes, des deux pays puissent travailler en toute intelligence sur cette histoire et principalement sur les objets qui restent encore conflictuels.

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