Madjid Cherifi, économiste, à L’Expression
«Nos entreprises doivent s’adapter au marché»
Madjid Cherifi est consultant en entreprise. Rencontré à l'Insim, école de formation en Management où il a animé une conférence sur les stratégies de redressement et de développement des entreprises, il a choisi une thématique fondée sur son expérience d'une trentaine d'années dans le secteur industriel national. Dans cet entretien, il évoque justement son long parcours dans les entreprises algériennes et les meilleures stratégies de redressement des entreprises en difficulté.
L'Expression: Vous avez un long parcours au sein des entreprises algériennes. Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de L'Expression?
Madjid Cherifi: Je vous remercie d'abord pour l'intérêt que votre média et vous-même avez exprimé à l'égard de ma récente conférence tenue à l'Insim de Tizi-Ouzou et je réitère, par à cette occasion, mes plus vifs remerciements à tout le staff de l'Insim dont le DG Monsieur Abdelmalek pour leur accueil chaleureux lors de cette conférence ainsi que pour le public de valeur dont des P-DG et cadres qui se sont déplacés à cette occasion et qui avaient contribué à enrichir le débat. Consultant,J'ai occupé depuis près de trente ans diverses responsabilités dans le secteur industriel et commercial depuis le textile jusqu'au poste de P-DG de la spa des métaux précieux et de gérant de sarl minoterie. L'intérêt ici ce n'est pas tant les noms des entreprises où j'ai travaillé, mais d'évoquer les expériences, notamment pour les leçons en termes de stratégies de développement et redressement d'entreprises.
Vous avez, lors de votre conférence, abordé le sujet des stratégies de redressement des entreprises. Vous dites que c'est un sujet facile et complexe. Expliquez-nous.
J'avais dit ‘'facile'' relativement à ma propre expérience et celles de managers ayant eu à relever le challenge de contribuer à revitaliser des entreprises en difficultés. ‘'Difficile'' parce que la décision stratégique n'est pas comme une décision à prendre pour résoudre un problème où l'on dispose de données précises et d'un algorithme qui nous permet d'arriver à une solution. Sans oublier que lorsqu'on dit stratégie, on a à l'esprit toutes les incertitudes et risques liés à l'évolution des facteurs de l'environnement où évolue notre entreprise, en premier lieu le dynamisme concurrentiel qui peut être hors de contrôle de notre management, le lien avec les conséquences des décisions stratégiques passées et présentes souvent irréversibles car engageant des ressources, notamment des investissements et des capitaux sur l'horizon du moyen et long terme.
De plus, la stratégie concerne toutes les fonctions de l'entreprise -commercial, finances, ressources humaines...-impliquant la nécessaire maîtrise, souvent pas du tout facile, de problèmes transversaux induits. En outre, les stratégies de redressement d'entreprises ont bien souvent une certaine spécificité surtout à l'entame du redressement où des mesures et actions d'urgence prennent le pas sur l'application de modèles et outils classiques de stratégie, même si ces derniers s'appliquent après la phase de stabilisation ou de sortie de la ‘'tempête''.
Vous avez évoqué trois grandes stratégies de développement des entreprises. Voulez-vous développer davantage ces stratégies et si possible évaluer l'application de ces dernières par les entreprises algériennes?
Les trois grands groupes de stratégies classiques sont la spécialisation, l'intégration, et la diversification. Mais il ne faut pas prendre cela comme un dogme.
Les types de stratégies sont nombreuses citées par les grands auteurs et chercheurs dans le domaine. On peut citer les trois stratégies de base ou générique de porter qui sont la différenciation; le volume et la concentration sur un segment du marché, le modèle des stratégies Produits-Marchés d'Ansoff ou les stratégies d'internationalisation.
Ma conférence du 31 octobre passée à l'Insim avait pour objectif premier de porter à la connaissance du public, au-delà de l'aspect académique du thème, mes leçons que j'ai pu tirer de mon expérience en tant que P-DG et gérant lors du redressement et développement de deux entreprises en particulier et ce, de 2007 à 2018. L'évaluation de l'application des stratégies par les entreprises algériennes demanderait à mon avis, un travail long et ardu qui n'est pas évident avec des données présentes et actualisées car la stratégie ou les stratégies ont un caractère confidentiel évident. Ce que je sais, c'est que la plupart des entreprises algériennes avaient commencé à s'intéresser à la planification stratégique et la mise en oeuvre de modèles stratégiques à partir surtout des années 1990, après les différentes restructurations des EPE des années 1980.
Durant votre parcours professionnel vous avez vraisemblablement une vue générale sur les problèmes de gestion des entreprises algériennes depuis les années 80 à nos jours. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur ces problèmes?
Tout d'abord il est trivial que les problèmes de gestion des années 1980 ou des années 1990 ou même des années 2000 ne peuvent pas être identiques à ceux d'aujourd'hui. Car les problèmes spécifiques de gestion pour chaque entreprise changent souvent selon les évolutions de l'environnement.
On peut citer quelques grands facteurs de l'environnement qui ont eu un impact certain sur les types de problèmes rencontrés par les entreprises comme: l'ouverture relative de l'économie des années 1980, l'impact des années difficiles 1990, la crise internationale de 2008 et la pandémie de 2020 à 2022.
Selon mon point de vue et mon expérience, parmi les problèmes connus qu'on retrouve même aujourd'hui et qui peuvent concerner bon nombre d'entreprises en difficulté chez nous ou à travers le monde,ce sontc'est bien les difficultés d'adaptation au marché -évolution des besoins de la clientèle et menaces de la concurrence- à côté de la compétence du management et de la maîtrise des coûts. Ces problèmes influent souvent négativement sur la rentabilité et la trésorerie deux paramètres clés et juges de la performance.
Devant ces problèmes que vous avez constatés au niveau des entreprises algériennes, vous aviez mis en application des solutions pour les redresser. Quels en sont ces moyens?
Je ne dirais pas les problèmes spécifiques aux entreprises algériennes d'aujourd'hui ou que j'ai eu l'opportunité de gérer, mais plutôt les problèmes que peut rencontrer en tout temps -hors grands événements relatifs à l'environnemental comme les grandes crises, catastrophes ou épidémies- n'importe quelle entreprise au niveau mondial surtout les PME-PMI et entreprises de types individuel ou familial Ce sont bien souvent les problèmes urgents de trésorerie qui conduisent aux difficultés que rencontrent bon nombre d'entreprises au niveau mondial. Bien souvent, le niveau de la trésorerie et de la rentabilité n'est que la conséquence d'autres problèmes: stratégiques -comme une mauvaise segmentation, le positionnement du DAS/ Domaine d'activité stratégique, stratégie inefficace-, la méconnaissance du marché ou faible marketing (besoins de la clientèle et évolution, la concurrence), la mévente, la qualité du produit, le coût mal cerné, le réseau de distribution inadéquat, une technologie dépassée, des investissements obsolètes ou inefficaces, la mauvaise gestion ou incompétence du dirigeant et du management-motivation, savoir-faire.
Quels sont les domaines d'investissement que vous préconisez aux jeunes investisseurs algériens?
Le marché algérien est très vaste. À mon avis, le jeune investisseur algérien a, devant lui, de larges opportunités d'investissement surtout que les pouvoirs publics encouragent beaucoup toutes les initiatives de développement de l'investissement. Je pense que le type d'investissement dépend pour une large mesure du parcours et des champs d'intérêt et de savoir-faire de chaque investisseur. Ce qui est important c'est sa motivation et il faut que le domaine où il veut investir l'intéresse vraiment. Ensuite la formation permanente même en autodidacte et la connaissance des techniques de son secteur d'activités est importante. Un jeune créateur d'entreprise doit apprendre à s'entourer de gens engagés, honnêtes et travailleurs qu'il doit savoir motiver. Enfin il ne doit pas avoir peur d'échouer ou d'être critiqué: c'est au contraire ce qui permet de s'améliorer et avancer dans son parcours de vie.
Enfin, sachant qu'il y a encore des entreprises publiques algériennes en difficultés, jugez-vous possible de leur donner une nouvelle vie et quels sont les principaux moyens (s'il y a bien évidemment encore une possibilité)?
‘'Donner une nouvelle vie'' est une belle expression. Tout en gardant un minimum de modestie et à l'instar d'autres collègues et des bureaux de consulting, et si on me faisait appel et selon mon plan de charge dans l'enseignement, je verrais toujours si je pourrais être d'une utilité.