L'Expression

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Ighzar Iouakouren (Bouira)

Un lieu chargé d’Histoire

Il a fallu une journée entière, celle du 18 décembre 1959, pour venir à bout des 45 valeureux moudjahidine, faisant face à une armée entière bénéficiant d’un appui aérien colossal.

La journée de ce samedi 18 mai, claire et douce à souhait, n'a pas été que commémorative. Mis à part le discours officiel qui a, tout en exaltant la bravoure et le patriotisme de cette région qui a donné tant de héros, et soulignant la barbarie qui s'est déchaînée un certain 6 mai 1956, détruisant le village de Ighzar Iouakouren, au pied de la montagne de Lala Khedidja, jetant sa population tout entière sur le chemin de l'exil, il y a, à la commémoration de cet évènement, un côté festif que le reporter ne peut ignorer.

Aux allures de kermesse
À l'entrée du village Ighzar Iouakouren, il y a foule, ce matin. La route qui y conduit est saturée de véhicules. Sur la place où se dresse une grande stèle érigée à la mémoire des héros qui se sont illustrés dans la région, on a peine à se frayer un chemin pour arriver au centre où se tiennent les officiels. Le ministre des Moudjahidine est du nombre. Ayant assisté à cette journée, l'année dernière, il avait promis de revenir. Promesse tenue. Mais à quel prix!
La journée se fêtait chaque année le 6 mai. La date a dû être reportée deux fois. Une fois le 12 mai, puis une seconde fois, le 18. La raison de ce report est la même: la présence du ministre est jugée indispensable pour donner à cette journée un cachet plus officiel. Or, le ministre, ayant eu des empêchements, il n'a pu se libérer que ce samedi.
Noyés dans une foule où le souvenir de cette sinistre journée du 6 mai, reste vivant dans toutes les mémoires, le ministre et le wali jouissent un long moment de cet accueil chaleureux qui leur est alors réservé.
Une sono, installée dans la cour d'une maison basse jouxtant le carré des Martyrs, diffuse des chants révolutionnaires. Des femmes et des enfants forment un cercle autour de la place et écoutent. De temps en temps des paroles fusent de la sono pour rappeler que le village a reçu la visite du ministre, du wali et d'autres personnalités politiques. Et c'est dans cette atmosphère, à la fois révolutionnaire et festive, qu'une gerbe de fleurs est posée au pied de la stèle commémorative et l'Hymne national retentit.
Le ministre, à l'aise dans ce bain de foule, sourit, salue. Le wali, heureux, fait de même. Il est important de montrer dans un moment pareil, qu'on est de coeur et d'esprit avec ce qui constitue l'âme même de ce village.
De cette maison basse se dégagent de délicieux fumets. Quelquefois des plats en sortent. On prépare le repas de midi.
Le service de sécurité, composé essentiellement de gendarmes et de policiers, veille, mais tout est tranquille. Les gens ont l'air si doux, si amical et si sympathique.

Ils ont écrit son histoire avec leur sang
Tout à coup, sur la place publique, une barrière se dresse et isole le wali et son hôte. Le silence se fait. Le président du comité d'Ighzar Iouakouren prend la parole. Il évoque le passé, un passé glorieux où tant de pages légendaires ont été écrites grâce aux fils de ce village martyr. Le 6 mai 1956, le jour se lève à peine. Des soldats français envahissent les lieux. Ils en bouclent les issues, procèdent à des arrestations, et, séance tenante, à des exécutions sommaires. Puis, mettent le feu au village en dispersant les villageois. À ce moment précis, l'aviation, mais aussi l'artillerie entre en action, achevant ce qui reste debout des maisons. On imagine la scène, le carnage. Des hommes tentant de fuir et arrêtés, certains abattus sans sommation, des femmes, chassées de force de leurs maisons auxquelles le feu est mis ensuite. Une veuve de chahid évoque pour nous cette évacuation musclée. Comme la pauvre femme avait, ce jour-là son fils qui était malade et alité, et comme les soldats menaçaient de brûler la maison, elle a été obligée de prendre le moribond sur son dos. Pas pour aller plus loin avec sa charge. Rattrapé près de la fontaine qui coulait plus bas par des soldats, et comme il ne voulait ou il ne pouvait leur donner les renseignements qu'ils lui demandaient, alors, ils l'ont roué de coups avant de l'abattre sous les yeux horrifiés et en larmes de sa mère.
Combien de fois cette scène s'est répétée? Combien d'hommes, combien de femmes et d'enfants, fuyant leurs demeures incendiées, ont été tués ou blessés, pendant qu'ils couraient, affolés, dans toutes les directions, sous un déluge de bombes et d'obus?
Le ministre qui a pris la parole à son tour, a qualifié ce massacre de barbarie et rendu un vibrant hommage aux héros: «Ils ont versé leur sang pour le pays. Ils ont écrit son histoire en lettres rouges», a-t-il martelé. Mais ce grand sacrifice n'a pas été inutile, puisque, dira-t-il, grâce au courage et à la détermination de ces hommes et de ces femmes qui ont refusé de se soumettre au diktat imposé par le régime colonial, nous vivons, aujourd'hui, libres et indépendants. De cet endroit qui forme une magnifique vallée boisée, nous pouvons voir le lieudit Thala, vers lequel, le discours épique du ministre terminé, sous les applaudissements, nous nous mettons en route. Le chemin qui y conduit est raide et caillouteux. On roule avec prudence. Un nuage de poussière jaune-brun enveloppe le cortège et bientôt le village de Ighzar se dérobe à nos yeux. Notre chauffeur, qui est jeune et a le geste vif, tend le bras aux branches des cerisiers qui bordent le sentier dans l'espoir d'attraper quelques fruits. Les cerisiers poussent dans la montagne presque tout naturellement, favorisés par une température idéale. Non loin de Thimdouchine, le convoi s'arrête. On descend. C'est pour s'incliner devant la mémoire de cette martyre appelée Messaouda Akouche, tuée dans le bombardement qui a visé le lieu en décembre 1959. À cet endroit très boisé se trouvait un refuge pour les moudjahidine. «C'était ma tante», affirme Ahmed, un vieux monsieur, le béret vissé sur la tête.

Sous un dais de verdure
L'endroit est magique. Nous sommes à flanc de montagne, couverte de grands arbres. Des chênes, essentiellement. Une halte s'impose. Il ne doit pas être loin de 13 heures. L'appétit vient en commémorant et en évoquant. Sous les grands chênes qui forment comme une tonnelle, des tables avec des couverts étincelants sollicitent les visiteurs. On tombe de fatigue. On meurt de faim. On cède au plaisir de la table. On n'honore mieux ses héros qu'en ayant toutes ses forces. Assis sur un rocher, loin du bruit des assiettes et des cuillers, le vice -président de l'APC de M'Chedallah semble s'abîmer dans une rêverie sans fin. Il est ici parce qu'il estime que sa place est parmi ses concitoyens. S'il connaît le coin? Mais ses parents y vivaient, possédaient des biens. La-haut, au sommet de la montagne se trouve un grand hôpital. Tous les moudjahidine blessés venaient ici pour se faire soigner et opérer. Le deuxième responsable de M'Chedallah nous parle ensuite de cet infirmier promu, au vu de ses qualités, médecin par le colonel Amirouche. Un jour, dit-il, un moudjahid, effectue une fausse manoeuvre avec un fusil chargé; un coup de feu part et blesse un civil qui deviendra plus tard un agent de liaison. Ce dernier, suite de cet accident, voit ses viscères se répandre sur ses genoux. Vite, l'infirmier qui est tout près du blessé, se précipite en un tournemain, fait rentrer dans le ventre, les viscères échappés, et coud ensuite la large blessure avec des fibres de plantes. Transportés à l'hôpital, le blessé est opéré et sauvé. Amirouche, de passage dans la région, au récit qui lui a été fait de cette performance, l'élève au rang de docteur. Il a travaillé comme médecin dans cet hôpital jusqu'à sa mort. Ce docteur se faisait appeler Zegane, un nom de guerre. Il officiait aux côtés de Malika (Gaïd) et de Hadjira, deux infirmières. Toutes deux de la région et toutes deux tomberont plus tard en martyres. «Le blessé s'appelle Slimane. Il vit encore. Vous allez le voir à Thala», indique notre interlocuteur.
Cette anecdote qui a un témoin vivant en la personne de Slimane est reprise par d'autres groupes. Nous leur prêtons la même attention et découvrons que toutes les versions concordent en tout point. Au sortir de table, le ministre, à titre de reconnaissance et d'amitié a accepté les deux tableaux qu'on lui a offerts, l'un et l'autre représentant la montagne. En retour, il a promis d'étudier la proposition de faire du 6 mai une Journée nationale. Pourquoi pas? Trop de villages ont été bombardés et brûlés par l'armée coloniale.
Nous quittons à regret cet endroit idyllique, où le soleil, ardent à cette heure, peine à percer l'épaisse frondaison, et où les oiseaux pépient à tout-va. Le cortège stoppe deux cents mètres plus loin. La moitié du chemin est accomplie par nous dans la poussière rouge et épaisse comme une moquette où, si le pied s'enfonce avec délice, la poussière, qui se soulève au contact des roues lorsqu'on roule, est âcre et fait tousser et venir les larmes aux yeux.
Sur notre gauche, le village, dont il a été demandé au ministre d'encourager le retour des habitants, semble si minuscule. Et soudain, Thala apparaît, théâtre d'une autre tragédie, d'un autre massacre. Mais cela ne s'est pas fait sans combat. Il a fallu une journée entière-celle du 18 décembre 1959-pour venir à bout des 45 valeureux moudjahidine, faisant face à une armée entière bénéficiant d'un appui aérien colossal. Le ministre a tenu parole. Il a promis une stèle commémorative, et le projet va démarrer le jour même. Le wali a accordé un délai de 45 jours pour sa réalisation. Le sérieux prévaut. L'heure est au travail. Un travail dédié à la mémoire collective, vestale de notre histoire.
Les 45 noms des martyrs qui ont marqué cette zone de leurs empreintes indélébiles vivront comme les 76 martyrs d'Ighzar Iouakouren, au fond de la vallée. Parmi la foule, un homme s'aidant d'une canne et portant des lunettes. Il se tient juste derrière le wali et le ministre. C'est Slimane, nous dit quelqu'un sur notre gauche. Et le souvenir encore frais d'un djoundi blessé involontairement et opéré avec des moyens de fortune par le docteur Zegane se lève dans notre esprit. Veut-il parler? Non, il garde le silence. Quand la pierre est scellée, il s'éloigne discrètement. Il doit connaître la plupart des héros tombés à Thala le 18 décembre 1959. Il aurait pu être l'un d'eux. Son pas, son maintien assuré, sa bonne mine disent qu'il est en bonne santé et qu'il a encore de longues années devant lui.
Le cortège reprend sa route dans la poussière ocre. Il reste un dernier point à visiter: la réhabilitation du cimetière de Béni Hamda, tout là-haut. Quand nous y atterrissons, il est quinze heures. La visite bouclée, la descente se fait rapidement. Mais une bonne partie avec ce nuage de poussière irritante. Si l'on ferme les vitres, on étouffe, car le temps qui a changé sans qu'on s'en aperçoive, annonce un orage. Et si on laisse les vitres ouvertes, c'est la poussière qui menace de nous étouffer. Heureusement, la route n'est pas bien loin et nous retrouvons avec plaisir la civilisation et le progrès qu'elle apporte. La provision d'images prodigieuses de noms de personnes, (de chouhada, comme ceux des vivants, comme l'élu de M'Chedallah, comme, rencontre fortuite, du P-DG d'El Moudjahid, comme ces huit jeunes qui se sont distingués dans des compétitions culturelles ou sportives honorées à ces occasions, ou d'autres encore), de lieux comme Ighzar Iouakouren, Thala, Beni Hamda, nous tiendra longtemps compagnie avant leur renouvellement à la prochaine édition.

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