Monologues
Rien n´invite autant à déconstruire le discours politique que le débat sur la charte pour la paix et la réconciliation. Et pourtant il n´en est rien. En investissant le terrain et en payant de sa personne, le chef de l´Etat s´est beaucoup impliqué dans le débat, mais tout se passe comme si les autres acteurs étaient absents de la scène ou bien qu´ils ne sont pas concernés. Première carence d´abord, au niveau des médias, aussi bien publics que privés : peu de lettres de lecteurs. Pour prendre réellement le pouls de l´opinion. Parmi les opposants à la charte, ce n´est pas le non qui est prôné, mais plutôt le boycottage. Attitude bien algérienne ou bien malaise réel?
Censée justement aplanir ces difficultés et reconstruire le consensus (qui peut en effet être contre la paix?) la charte n´aborde qu´en surface la crise profonde qui s´est installée dans le pays et travaille le corps social. Malheureusement, et contrairement à ce qu´affirment certains, ce débat en dents de scie ne se résume pas à un face-à-face conservateurs-démocrates. Il y a des enjeux beaucoup plus importants.
Prenons la base des sympathisants de l´ex-FIS. Ils disent en aparté qu´ils sont d´accord avec le principe même de la réconciliation, même si leur parti est exclu du jeu politique. Ils voudraient clore le chapitre et passer à autre chose. Ils ont conscience d´avoir été manipulés et quelque part d´avoir été les dindons de la farce. Mis à part les radicaux et les plus virulents, ils souhaitent que le pays tourne cette page douloureuse. Car ce que ne disent pas les analyses superficielles, et parfois tendancieuses, c´est que ces centaines de milliers de jeunes sont eux-mêmes les produits d´une crise plus ancienne, le résultat d´une suite d´erreurs volontaires ou non, et, en tout cas, l´histoire de l´islamisme montre bien que le fondamentalisme est bien l´échec de l´Etat républicain, depuis l´indépendance, à moderniser la société, à démocratiser et développer le pays. L´islam a d´abord été politisé et instrumentalisé par le pouvoir lui-même, avant d´être récupéré par les intégristes. Et tout le drame est là. Cet échec a aussi son corollaire, celui de la marginalisation des élites.
Dans un système basé sur l´autocratie et l´oligarchie, le pouvoir a favorisé la montée en puissance des médiocres aux dépens de l´intelligence et des créateurs, dans tous les domaines. On juge les cadres non pas à leur compétence, mais à leur manière de courber l´échine. Pour beaucoup de citoyens, et ils sont nombreux, le terrorisme est derrière nous, malgré les poches de violence qu´on voit çà et là. En revanche, ils posent des questions sur la prédominance de l´insécurité, de la corruption, et d´autres maux sociaux tout aussi pernicieux.
La délinquance, grande ou petite, qui s´est développée à la faveur de la décennie sanglante, a tissé sa toile, et la charte ne nous dit pas comment reconstruire un Etat fort, capable de lutter contre l´insécurité, d´assurer le plein emploi, de combattre les inégalités, de garantir à tous les enfants de ce pays des chances égales d´accès à l´instruction, à l´emploi, à la santé, au logement, aux plus hautes fonctions de l´Etat, tout en garantissant la liberté d´expression, condition pour l´éclosion des intelligences. Quant au point de vue des associations, comme celles des disparus ou des familles victimes du terrorisme, il n´est pas assez connu. Leur a-t-on au moins donné les moyens de le faire connaître?
Le temps imparti au débat est-il suffisant? On ne sait trop. Tout ce que l´on remarque, c´est que mise à part l´initiative du docteur Ould Abbès, qui a tiré une brochure sur la réconciliation, on n´a pas beaucoup vu d´initiatives de ce genre. Peu d´affiches sur les murs de la ville.
Rien qui donnerait une impression que la classe politique se dépense pour faire triompher ses idées, dans un débat général et contradictoire.
Nous avons parlé de la base de l´ex-FIS, mais le nombre des jeunes dépolitisés est encore plus important, des jeunes sur lesquels la langue de bois des politiques, quel que soit leur bord, n´a pas prise.
Le drame de l´Algérie restera celui du déficit en communication.