L'Expression

{{ temperature }}° C / {{ description }}

Cité introuvable.

Cette immense fosse commune des écrivains !

Chez nous comme ailleurs aux pays de l'Afrique du Nord et du Moyen Orient, les tombes des écrivaines et des écrivains sont ouvertes, prêtes à avaler ces créateurs fragiles! Des fosses communes sont visibles dans toutes les villes et tous les villages, où sont entassés enterrés en masse nos futurs créateurs, sans larmes ni remords.
Chaque jour que Dieu fait, matin et soir, nous marchons, tête baissée, dans des cortèges funèbres successifs; d'un petit Hemingway oranais, d'une Françoise Sagan tizi-ouzienne, d'une Nazik al-Mala'ika biskrite, d'un Nizar Qabban ibougiotte, d'un Molière ssétifien, d'un Rimbaud algérois, d'un Kateb Yacine bécharien...
Nous accomplissons la prière de l'absent, et nous nous regardons, en silence, et nous buvons du café sans sucre ou du thé vert, rouge ou noir, nous suivons un film en noir et blanc, nous avançons dans une rue qui mène nulle part et nous attendons un autre enterrement.
Dans ce pays vaste comme un continent, haut comme un ciel, chaque jour, sans état d'âme nous tirons sur un futur romancier, un éventuel poète, un possible musicien, un projet artiste plasticien, un tir amical, fraternel ou paternel, inclément et mortel.
Dans nos bras, sous nos yeux, ces futures plumes meurent en masse et personne ne s'en soucie. Personne ne se lamente, ne pleure, ne regrette.
Les tombes sont nombreuses, et des nouveaux morts nous font oublier d'autres anciens morts.
Nos écoles sont des cimetières pour les nouveaux talents.
Nos universités sont des nécropo les pour les nouveaux génies.
Les mariages sont des caveaux pour les jeunes filles surdouées.
Nos partis politiques sont des catacombes pour les vrais militants. Dans chaque coin, dans chacun de nous, existe une tombe, un projet de cimetière, un projet d'assassin ou un projet de mort.
Dans notre pays, on construit des tombes pour les ossements des rêves avant que l'on construise des écoles pour l'apprentissage.
Nous rêvons des fossoyeurs avant de penser aux semeurs de la vie et aux maîtres de la connaissance.
Souvent, nous sommes hantés par la mort, vidés de toute énergie de la vie. Nous vivons en morts!
À l'école primaire, peu importe le statut, publiquc ou privée, l'enfant arrive dans sa classe portant dans son cartable un rêve soyeux d'être un grand écrivain semblable à ceux dont il lit les premiers textes du programme scolaire;Mohamed Dib, Mouloud Feraoun, Malek Haddad,Suleiman Al-Issa, Mahmoud Darwich, Gibran Khalil Gibran, Saïd Akl, Mouloud Mammeri, Réda Houhou, Mikhail Nouaima, Assia Djebar, Naguib Mahfouz, Paul Eluard, Mallarmé, Victor Hugo, Alfred de Musset, Elsa Triolet etc.
L'élève rêve de devenir un héros avec des ailes mais l'école où il est enfermé ne prête pas attention à son imaginaire. Au fur et à mesure que les années scolaires s'écoulent, l'énergie de la rêverie enfantine s'éteint. Les songes se noient dans la froideur du quotidien et dans les leçons muettes. Le poète rêvé meurt dans la tête de l'enfant ou de la fille. Il tombe en cadavre sans vie.
Les premières funérailles annoncées, des dizaines de talents sont enterrés dans la fosse commune de l'école primaire; des poètes, des poétesses, des musiciens, des musiciennes, des actrices, des acteurs, des danseurs et des danseuses... Ces anges meurent en rêvant debout.
Certains miraculés de la fosse commune de l'école primaire, passent au collège. La mort grandit d'année en année, elle a des yeux qui ne dorment jamais. Au collège l'enfant rase le duvet de ses moustaches et la fille essaye le rouge à lèvres! La mort collégienne commence à poursuivre ce défilé des rêves. Avec les moustaches rasées en cachette et le maquillage volé du sac de la maman ou de la grande soeur, le rêve de l'écriture, poésie, lettres d'amour, des récits s'envole. Mais les yeux de la mort scolaire ne dorment pas, et le silence des éducateurs est fatal.
Les martyrs collégiens de l'écriture tombent sous les balles de la négligence, de l'ignorance et du mépris des talents. Les enfants sont réprimés de toutes parts. Les enseignants et les administrateurs creusent une fosse commune pour les surdoués au milieu de la cour du collège. Et les démons de la poésie quittent l'institution éducative.
Il arrive que la mort oublie de prendre quelques talents collégiens. Sur la pointe des pieds, ils passent au lycée, toujours avec le rêve d'être poètes, romancier, dramaturge ou musicien...Au lycée la mort redouble de férocité, l'oeil vigilant du censeur est bien réveillé. Les signes de la féminité sont visibles chez les jeunes filles lycéennes; le sang de la puberté, les soupirs et les désirs!Le corps féminin est une malédiction et un stigmate majeur. Les prêcheurs religieux et idéologiques rentrent sur scène. On tue les talentueuses et les averties. On installe toutes sortes d'interdictions. Le lycéen et la lycéenne se trouvent face à la dualité diabolique: le sacré et le profane, le halal et le haram, yajouzwala yajouz! Un cercle infernal commence à débusquer la liberté de l'imagination, l'amour de la littérature et de l'art au lycée!
Comme à l'école primaire et au collège, les professeurs du lycée à leur tour creusent une fosse commune où des milliers de surdoués sont enterrés en silence. Tout est fait par une nuit longue et sombre qui dure trois ans.
À l'université, avec acharnement la chasse aux talents se poursuit dans les facultés.
L'assassinat universitaire des talents prend la forme politique, idéologique et religieuse. Une minorité de génies arrive à en sortir sains mais avec beaucoup de blessures et de traumas. Le censeur universitaire oublie un peu le jeune étudiant et se concentre davantage sur l'étudiante. Elle est, à ses yeux, l'origine et la source de la fitna, de la sédition et de tous les séismes.
Comme dans les étapes scolaires précédentes, une grande fosse commune est également érigée à l'université, et les «douktours» et les «professours» prient sur les corps des étudiants talentueux; la prière des savants fanatiques!
En Afrique du Nord et au Moyen Orient, la fosse commune réservée aux femmes écrivaines est plus vaste que celle des écrivains!
Par miracle, il arrive que quelques jeunes écrivaines et artistes survivent à l'infanticide appliqué à l'école primaire, au collège, au lycée et à l'université. Avec audace, elles ont parcouru cette longue et dure épreuve hantées par l'envie de l'écriture et de la création. Puis un jour, la jeune fille rescapée des fosses communes tombe amoureuse!Le prince de ses rêves peut être un poète des fêtes nationales, un écrivain du vendredi, il peut être un doktour, un enseignant ou un médecin/ Raki qui rêve d'un Hajj et de nombreuses Omra! La jeune poétesse miraculée se marie! Quand le mariage s'installe dans le lit nuptial, la poésie sort par la grande porte. Heureux, le marié célèbre le mariage et inaugure, en même temps, la fosse commune de la poésie. Il y enterre la poésie qui habitait sa femme et conserve la carcasse d'un corps sans âme.
Petit à petit les poèmes disparaissent dans la vaisselle, dans la sauce de la casserole remplie de pommes de terre, dans l'odeur de l'ail et d'ognon, dans les épices du tadjine qui mijote sur un feu doux, dans un plat de couscous avec sept légumes, et puis dans les couches du premier bébé!
Après la fosse commune de l'école et celle de l'université, la femme de lettres se retrouve devant une tombe ouverte à côté du lit conjugal, une tombe avec une bague et un linceul de mariage. Les fosses communes réservées aux jeunes écrivaines et écrivains sont réparties dans toutes les régions du pays vaste comme un continent, haut comme un ciel, alors ne marchez pas s'il vous plait sur les ossements de nos morts,les squelettes de nos rêves, oh vous les vivants ou les survivants.

De Quoi j'me Mêle

Placeholder

Découvrez toutes les anciennes éditions de votre journal préféré

Les + Populaires

(*) Période 7 derniers jours