Quand la culture fait peur !
La culture éclairée et critique n'est pas le bonheur ni la bénédiction pour tout le monde. Certains voient la culture comme un enchantement, d'autres la regardent avec suspicion et prudence, d'autres la considèrent comme un paradis et d'autres comme un enfer.
Les régimes politiques dans le Monde arabe cherchent une culture à leur taille, sur mesure, prêt- à- porter, une culture qui ne crée pas de brèche dans le mur de leur pseudo-immunité politique fragile.
Ils préfèrent la culture de l'obéissance et de la soumission.
Comme des champignons, partout, autour de nous, naissent des centres de recherche, des laboratoires de recherche, des centres d'études stratégiques. Ils se veulent des espaces pour la réflexion dans des multiples disciplines; en stratégies, en sociologie, en anthropologie, en littérature, en intelligence artificielle, en économie, en statistiques... En tout et en rien.
Ces centres de recherche fonctionnent sous l'oeil vigilant du censeur, l'oeil qui ne dort jamais! Dans les pays arabes, le philosophe, le Feqih, le poète doit penser, doit créer, selon des règles tracées à l'avance par le pouvoir politique. Sous le ciel arabe, la culture critique ne doit pas dépasser le plafond de liberté permise par tel ou tel pouvoir politique.
Les pouvoirs arabes ont peur de la culture critique et rationnelle, parce qu'elle est capable de semer des questions gênantes dans la société.
La culture éclairée est le déclic de toute question qui interpelle la situation sociale du citoyen, et propose les moyens de la changer et de la surmonter.
Les pouvoirs arabes ont peur de toute pensée rationnelle et sérieuse. Toute diligence venant de la part des créateurs est considérée comme une hérésie, un abus et une mauvaise moralité.
Mordre la main qui accorde la grâce et le pain!
Les pouvoirs arabes veulent que les centres de recherche et d'études soient jumeaux des centres de sécurité et de renseignement.
Ils veulent qu'ils soient une béquille de soutien à leurs politiques et à leurs idéologies. Ils voient l'image d'un créateur, d'un chercheur ou d'un littérateur, identique à celle d'un agent de renseignement, usant d'un discours pseudo-savant ou pseudo-littéraire.
Les pouvoirs arabes attendent des travaux des chercheurs et des créateurs qu'ils soient un renfort, d'abord et avant tout, pour leur sécurité. Ils financent, tolèrent, encouragent et achètent les idées des chercheurs et des créateurs qui recyclent leur politique.
Les pouvoirs arabes procurent quelques idées aux centres de recherche, des idées qu'eux-mêmes ont dictées directement ou indirectement aux chercheurs de ces laboratoires!
Leurs marchandises leur ont été rendues!
Chaque fois que les chercheurs et les créateurs se sont identifiés aux idées du pouvoir, ce dernier leur octroie plus de finances, plus de prix et beaucoup de bénédictions.
La culture éclairée est l'âme de la liberté, et les centres de recherche ainsi que les créateurs du Monde arabe ont besoin de cet oxygène essentiel qui est la «liberté d'expression et d'opinion».
Dès que de nouvelles idées opposées aux orientations politiques de tel ou tel pouvoir, émergent d'un chercheur ou d'un créateur, toutes les formes d'accusation lui tombent sur la tête; la main étrangère, la menace de l'instabilité, incitation à la sédition, l'expiation, la judaïsation, la trahison nationale...
Dès que les chercheurs et les créateurs sont assiégés, interdits, muselés, ladite stabilité se transforme progressivement en une stagnation, en une putréfaction politique et en pourriture sociale. Bien que le budget alloué à la culture comme à la recherche, dans tous les pays arabes, soit misérable par rapport à ce qui est consacré en Occident et dans quelques pays asiatiques, cet argent fourni est avant tout pour justifier et polir la politique des pouvoirs en place.
Les pouvoirs arabes ne veulent pas que leurs intellectuels et leurs scientifiques inventent des nouvelles idées dans les domaines de l'économie, de la médecine, de la science et de la littérature... Ce qu'ils cherchent ce sont les idées qui encouragent la reproduction de leur politique.
Dans tout pays où la démocratie est absente, la culture critique fait peur au censeur! La raison est considérée comme une hérésie dans un pays où le populisme est généralisé, dans la religion, dans l'économie, dans la culture et même dans la science technique.
Plus la science, la culture et la religion se mêlent au populisme, la médiocrité s'impose, l'hypocrisie sociale se généralise!
Certes, la gratuité de l'éducation contribue à l'alphabétisation alphabétique! Mais lorsqu'on regarde de près ce système éducatif, on constate qu'il s'agit d'un processus idéologique bien encadré dont le but est de créer et récréer des générations gardiennes des régimes et des pouvoirs.
Une éducation qui n'enseigne pas la liberté de la pensée et la rigueur de raison est une éducation qui enseigne nécessairement la culture d'obéissance, de servitude, et enseigne les moyens de reproduire le pouvoir et embellir sa présence dans l'imaginaire collectif des générations successives.
Dans le Monde arabe, le chercheur, comme le créateur, accepte facilement sa dépendance parce qu'il est, profondément et inconsciemment, le produit d'un système scolaire qui défend la foi, chasse la critique, le doute et le questionnement.
Les pouvoirs politiques arabes sont heureux, sont à l'aise, autosatisfaits, lorsque leurs citoyens croient que la terre est plate, que l'urine de chameau guérit toutes les maladies, y compris le cancer, et que les tremblements de terre sont causés par la propagation de l'homosexualité. Cette situation d'idiotie intellectuelle facilite la gouvernance du troupeau!
Les soi-disant centres de recherche publient des centaines de magazines dans toutes les disciplines, des milliers de livres et de brochures traitant des problèmes culturels sociologiques, économiques, écologiques et autres! Périodiquement, ils organisent des forums et des colloques internationaux, en arabe et en anglais, souvent inaugurés par les hauts décideurs, couverts par les médias lourds publics et privés! Mais, en fin de compte, personne ne lit ce qui est publié dans ces centres de recherche. Le lecteur/citoyen ne fait pas confiance à ce qui en sort, et les pouvoirs politiques eux-mêmes ne prêtent aucune attention à la production de ces institutions, car ce sont eux qui dictent ce qui doit et ne doit pas être dit, écrit ou réfléchi.
La culture libre et critique fait peur!
La pensée rationnelle fait peur aux pouvoirs politiques répressifs. Parce qu'elle pousse le citoyen à s'interroger sur sa condition, à faire travailler son cerveau et à chercher des moyens pour changer sa condition sociale et économique. Les pouvoirs politiques cherchent qu'un citoyen/troupeau soit conduit là où ils veulent et non où il veut. Ils désirent produire un citoyen prescrit, arrangé, du berceau à la tombe.
Le pouvoir politique pense à la place du citoyen, veut devenir son alternative! Le citoyen qui ne fait pas travailler son cerveau fait le bonheur de son pouvoir, de son maître
Si on ne sépare pas la politique de la recherche, de la culture et de la religion, le politique ne réussira pas son projet, la culture n'arrivera jamais à produire des richesses capables de conduire à un processus de changement historique, et la religion sera polluée et commercialisée comme n'importe quelle marchandise!