L'Expression

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Tout a été dit ou presque!

Plus rien à découvrir dans ce monde fou et affolé!Tout a été dit. Tout autour de nous,
en nous, a été filmé
et minutieusement répertorié ou presque.
L'oeil qui ne dort jamais!

La liberté individuelle est confisquée. Les jours comme les choses, comme les personnes sont dénudés. Qu'est-ce qu'un écrivain de voyage peut rajouter aux informations proposées par Google. Il suffit d'une petite touche sur l'écran du smartphone, et une pluie d' images satellitaires animées des villes, des montagnes, de nos voisins, de nous-mêmes avec précision s'abattent sur nos têtes. Un travail que l'écrivain de voyage ne pourra jamais réaliser.
Est-ce la fin de la littérature de voyage telle qu'elle a été présentée du début du VIIIe siècle jusqu'au milieu du XXe siècle?
À partir du premier quart du XXIe siècle, le monde autour de nous, en nous, est devenu nu, exhibé dans tous ses détails. Tout le monde peut regarder tout le monde! Sans frontières.
Plus rien de secret par les temps qui courent aveuglement, excepté les découvertes scientifiques ou spatiales.
Le seul voyage qui peut être raconté ou écrit est celui dans l'espace. L'espace au-delà de la Lune, parce que même cette dernière n'éveille plus la curiosité, ni touristique ni scientifique. Dans un voyage spatial au-delà de la Lune, on découvre quelques surprises frappantes et étonnantes. Sur cette Terre tout est fouillé, les terres comme les mers comme les déserts ne provoquent aucune révélation.
La fascination des lieux, la culture et les arts de ceux qui les peuplent sont éteints, morts. La cendre. Tout s'est transformé en marchandise, sujet de l'offre et de la demande.
Le monde est devenu un album ouvert!
En 1834, Al-Tahtawi (1801-1873) avait écrit un livre phare intitulé «L'or de Paris» (Takhlisso el ibris fi talkhissi Paris), sur son voyage à Paris. En ce temps-là Paris était très lointain. Aujourd'hui il est plus proche que le quartier d'en face. Le lecteur de l'époque, dans son isolement culturel et médiatique, avait lu ce livre avec grande curiosité et étonnement. À travers ce voyage, il cherchait à découvrir un autre monde plein de surprises. Un monde différent par sa civilisation, sa culture, le comportement de ses citoyens, l'art culinaire, l'éducation, la femme, les moyens de transport, la musique, la littérature et l'architecture.
La géographie humaine et naturelle d'autrui avait une attirance, était une tentation.
Les célèbres livres de voyage écrits par: Ibn Battuta, Ibn Fadhlane, Ibn Jubayr, Ibn Khaldun, Hassan al-Wazzan dit Léon l'Africain, Georgy Zaydan, André Gide, Isabelle Eberhard, Lamartine, Henri Michaux, Claude Lévi-Strauss et d'autres, ne sont lus aujourd'hui pas pour les informations qu'ils contiennent mais pour découvrir ce qui caractérisait l'homme du dix-neuvième et vingtième siècle dans ses rapports à la mort, au mariage, au pouvoir, à la religion, à la géographie, à la magie, aux étoiles, à la femme, aux étrangers, aux catastrophes naturelles, aux pandémies et autres.
Aujourd'hui, la standardisation aveugle s'est généralisée; dans l'habillement, l'architecture, la consommation. Elle a enterré tout désir et toute chaleur dans la vie privée. Que nous partions du sud vers le nord ou du nord vers le sud, de l'est à l'ouest ou vice versa, nous voyageons tous de la même manière, que ce soit en avion, en voiture ou en train. Nous nous asseyons sur les mêmes sièges, nous sommes tous matraqués par les mêmes publicités des mêmes entreprises. Le monde est envahi par un goût unifié. La médiocrité.
Dès que le capital impitoyable des grandes entreprises multinationales a enjambé les frontières sans aucun respect aux valeurs locales des nations, la culture de la différence a disparu. L'homme moderne est devenu une pièce dans cette machine sauvage du capital barbare.
Peu à peu les femmes et les hommes habités par l'aliénation de la consommation se sont métamorphosés en une seule pièce; proie au clonage culturel et civilisationnel.
Le voyage n'est plus un morceau d'enfer, ni un morceau de paradis, comme disaient les anciens globe-trotters.
Aujourd'hui, seuls les harraga, les immigrants illégaux, risquant leurs vies en mer ou dans le désert afin d'atteindre l'Europe fuyant la faim, les guerres ou la répression politique, peuvent nous écrire ou nous raconter un voyage amer et époustouflant.
Le voyage contemporain est arrangé et vérifié à l'avance. Le voyageur connaît les détails avant d'atteindre le lieu de destination. Avant même de quitter le point de départ, il connaît déjà la route qu'il empruntera par terre, mer ou air, à la minute et à la seconde. Il connaît les conditions météorologiques; la pluie, la neige, le vent, la chaleur ou le froid, à l'avance!
Rien n'est laissé au hasard.
Il connaît l'hôtel dans lequel il va séjourner, la marque du matelas de son lit, l'épaisseur du traversin, la piscine, les mets proposés, les boissons, les prix au centime près. Même les noms du propriétaire et du personnel de l'hôtel sont connus. Le voyageur sait tout avant d'arriver à destination. Ainsi il n'y a plus d'envie de découvrir ou d'écrire.
Tout se ressemble, même la valise dont laquelle vous rangez vos affaires ressemble à des centaines de valises dont les propriétaires voyageront avec vous, dans le même sens ou dans le sens inverse; même taille, même couleur, même fabricant! Avant que vous organisiez vos affaires, vous ouvrez sur une page de Google pour connaître les détails de votre itinéraire, votre avion, l'histoire de la ville de destination, les coutumes, la religion, les langues utilisées...
Aujourd'hui, même la monnaie locale n'existe plus. Une carte bancaire suffit pour faire le tour du monde!
On mange des plats indiens à Paris, on boit du vin français à Pékin, on écoute des chansons du raï au Japon, des chansons kabyles au Canada, Oum Kalthum en Norvège, tout a changé de place.
Face à ce monde standardisé devenu froid et nu, que peut-t-on écrire dans le domaine de la littérature de voyage? Ni les lieux ne sont étranges, ni les temps, ni la nature, tout est déjà révélé. La normalisation a asséché les sentiments humains. Tout ressemble à tout, et rien ne ressemble à rien!
Ce qu'un écrivain de voyage peut écrire aujourd'hui, ce sont ces relations humaines qui peuvent se produire dans les détails d'un voyage.
Cette intériorité spécifique comme capital riche du voyage ne peut être peinte que par un écrivain sensible et doué et qui voit plus loin que la géographie et le tourisme.

De Quoi j'me Mêle

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