Divide ut imperes
Cette formule d´apparence barbare est une expression latine que les professeurs ès humanité avaient l´habitude d´employer comme exemple pour enseigner la grammaire et la conjugaison de cette langue morte qui eut une nombreuse descendance: le français, l´espagnol, l´italien, le roumain, le catalan...C´est une méthode très pédagogique que d´enseigner des matières aussi rébarbatives: pour contourner l´obstacle et rendre la chose attrayante, les percepteurs empruntaient aux poètes et aux proverbes, des formules polies par l´usage et les siècles.
Cela permettait au disciple de mémoriser plus facilement la règle grammaticale et en même temps il assimilait l´esprit de cette formule. Diviser pour commander: une formule qui a dû inspirer Machiavel. Elle comporte un impératif, une conjonction de subordination et un subjonctif. Cette phrase prononcée dans une salle de classe peut paraître anodine car elle ne fait qu´illustrer un cours...
Mais voilà, elle prend une autre dimension quand on sait que dans la Rome antique où l´enseignement n´est dispensé qu´aux riches: elle n´a pas été choisie au hasard. A l´origine, elle a été construite pour être inculquée certainement aux fils des maîtres de Rome qui étaient appelés fatalement à remplacer leurs pères aux rênes du pouvoir. Et dans la Rome impérialiste, cette recette sera savamment utilisée par tous les conquérants qui savent souvent que la force seule ne suffit pas pour soumettre des peuples ou des individus, mais que la corruption peut aider et accélérer le processus d´asservissement des autres. A toutes les époques, cette tactique sera employée, notamment pour dominer des nations qui sont encore organisées en tribus: on dresse une tribu contre une autre, ainsi le conquérant économise ses propres forces. On dresse une nation contre une autre tandis que la superpuissance attend le moment opportun pour fondre sur l´un puis l´autre des Etats dont les régimes n´ont pas retenu les leçons de l´histoire.
Evidemment, cette ruse de guerre est utilisée aussi au sein des familles, des clans, des entreprises, des syndicats, des partis politiques...On peut aussi dresser une ethnie contre une autre, une communauté contre une autre...C´est ce que fit la France coloniale en 1870 avec le fameux décret Crémieux qui fit des Juifs installés en Algérie, des citoyens français à part entière alors que la grande masse des musulmans était condamnée à croupir encore dans le sordide statut de l´indigénat. Donc, voilà une communauté entière dont une partie avait pris racine au Maghreb depuis des millénaires tandis que l´autre y avait cherché refuge, fuyant les persécutions de l´Eglise chrétienne apostolique et romaine, qui va se détacher de la masse des indigènes. Il faut dire que des Algériens instruits, feront de même pour servir dans la Fonction publique. Bref, tout cela pour dire que la désolidarisation d´ordre unilatéral est une erreur historique car le pouvoir français à chaque crise qu´il traversera, utilisera les mêmes méthodes. Il attisera les haines entre juifs et musulmans en 1934 à Constantine, lors de la montée du fascisme en France. Cela n´empêchera pas Pétain d´abolir en 1940 le décret Crémieux. Cette même haine ressurgira lors de la lutte de Libération quand beaucoup de juifs prendront fait et cause pour le colonialisme. Ceci pour dire que, juif ou harki, chacun est libre de choisir son camp et sa patrie. Mais une fois le choix fait, il est trop tard pour revenir en arrière. D´ailleurs, Georges Frêche, député socialiste de Montpellier, l´a rappelé durement aux harkis. Les malentendus naissent de cette attitude à ne pas vouloir (ou pouvoir) assumer ses choix historiques. Ce n´est pas la culture de la nostalgie entretenue par l´émotion qui pourra donner le change: la déchirure ne se referme qu´après un travail de recherche historique conséquent.
Benjamin Stora, à l´opposé d´Enrico Macias, a entrepris depuis longtemps ce travail.
Stora et Macias, deux façons d´interpréter la même partition.