L’hébreu, une langue comme une autre

Christian Leblanc, un égyptologue français, a déclaré récemment à un journal étranger: «En Egypte, on est à l´échelle de l´éternité», ajoutant sans hésiter: «De toute manière, l´Egypte ancienne n´a jamais été une société de type esclavagiste.» Ce qui devrait mettre fin sous peu à la propagande sioniste à propos de l´exode des Hébreux «vers la Terre promise». Deux phrases courtes, percutantes, qui ont dû supposer de très longues études et un passage obligé de son auteur par la langue ancienne des habitants du Nil. Amen, comme dirait Costa Gavras le réalisateur notamment du film Z, film qui avait été pris intégralement en charge par les autorités algériennes dans les années 70.
Mais revenons à l´Egypte qui, dès l´antiquité et malgré «l´omniscience» de ses Dieux vivants, était restée ouverte sur l´altérité en dépit des guerres qui, souvent, l´opposèrent aux autres empires de la région. Le prophète Moussa fut d´abord Egyptien avant de se décider à suivre les traces de Ibrahim El-Khallil qui le conduiront au mont Sinaï. Ainsi, il dut accélérer l´apprentissage de l´hébreu pour se faire entendre des premiers partisans du «Veau d´or».
Trois mille ans plus tard, l´Egypte, qu´on qualifie souvent de moderne grâce à ce que les Pharaons ont légué au monde en matière de performances «civilisationelles» vient, une fois encore, de prouver qu´en dépit des tabous et de la frilosité qu´elle génère, on peut s´accommoder des langues parlées par autrui comme quelqu´un souffrant d´une grave maladie cardio-vasculaire, d´un coeur artificiel.
Depuis janvier dernier, le consortium audiovisuel égyptien, au sein duquel au moins deux chaînes diffusant par satellite, Nile TV en anglais et Nile TV en français, a décidé d´intégrer la langue hébraïque dans ses programmes pour une diffusion de 2 heures par jour, 7 jours sur 7. Motif invoqué: la communication! Autrement dit pour se faire comprendre par la population israélienne qui, bien souvent, faute de données comparatives, a toujours été incapable de séparer le bon grain de l´ivraie depuis la mise en coupe réglée de la Palestine en 1948.
Pourquoi l´Egypte réussit-elle à créer l´événement dans des registres aussi empoisonnants que le domaine des langues? C´est sans doute parce qu´elle dispose d´une force de persuasion qu´aucun autre pays arabe ne possède. Sans quoi l´Université islamique d´El-Azhar aurait réagi différemment lorsque, apprenant la nouvelle, elle s´est contentée de laisser faire en prenant soin de ne pas trop insuffler de doute sur une entreprise dont l´objectif avéré consiste désormais à se faire entendre du plus grand nombre d´Israéliens possible pour éviter que leur opinion ne soit plus l´objet de manipulation éhontée comme naguère. Deux sons de cloche valent mieux qu´un. C´est sans doute le but recherché par les Egyptiens pour essayer non seulement de convaincre les Israéliens qu´ils ont toujours fait fausse route concernant la Palestine, mais de leur expliquer aussi que si Anouar Sadate a été le premier chef d´Etat arabe à se rendre en Israël pour négocier la paix, c´est parce qu´il avait compris qu´il n´y avait pas d´autre solution possible. D´où sa singulière initiative qui a permis, quelques mois plus tard, aux Egyptiens au moins de récupérer le Sinaï, annexé par les Juifs en 1967.
L´usage de l´hébreu par les ondes égyptiennes est une démarche d´une résonance significative qui a permis à l´Egypte de se débarrasser d´un tabou pour profiter d´un effet d´annonce qui a laissé cois un grand nombre de pays, y compris l´Algérie dont le marasme linguistique ajoute une dimension d´arriération lourde à porter depuis qu´elle a été plongée dans sa situation actuelle par l´intégrisme islamique il y a de cela 11 ans.