LE CORAIL ALGÉRIEN EN PÉRIL
L´italien connection
Le ministère de la Pêche compte exercer son autorité dans la pêche du corail.
Le corail algérien, réputé pour sa richesse qu´il puise de l´écosystème unique des fonds marins du littoral national, n´a jamais suscité autant de convoitises et fait l´objet d´une campagne de braconnage tous azimuts ces derniers temps.
Les nombreuses saisies effectuées ces derniers mois et les nouvelles méthodes qui accompagnent ce trafic témoignent de l´existence d´enjeux financiers importants. D´autant plus que les expériences effectuées sur le corail rouge algérien font ressortir des qualités et vertus dans divers domaines: chirurgie orthopédique, chirurgie dentaire, etc. On apprend que la poudre de corail serait même utilisée dans la fabrication de la dalle de sol car le corail est chaud en hiver et froid en été.
L´acharnement de certains pêcheurs algériens mais également étrangers contre cette richesse marine, par la grâce de diverses complicités à plusieurs niveaux, ne serait pas étranger à ces utilisations diverses, complexes et lucratives.
Des réseaux mafieux se tissent telles des toiles d´araignée. Des Italiens qu´on chasse par la porte et qui reviennent par la fenêtre ont su créer un maillage pour l´extraction, le transit et l´écoulement de la marchandise qui n´a rien à envier à celui que connaît la faune qui gravite autour du trafic de drogue. Ainsi, grâce à des cartes marines qui remontent au temps du colonialisme, les professionnels de ce trafic repèrent les endroits se trouvant à l´abri des regards, payent des Algériens pour y plonger et extraire le filon d´or pour ensuite le mettre en lieu sûr avant que d´autres ne viennent le récupérer et le transférer vers un port par où la marchandise doit transiter. Les personnes qui prendront le relais sont aussi dotées d´adresses et de personnes auxquelles le corail doit être remis en fin de parcours.
Ainsi donc la décision du ministère de la Pêche et des Ressources halieutiques de confier l´opération de recensement de notre richesse corallienne à un bureau d´études spécialisé, probablement égyptien ou français, arrive à point nommé.
Etant donné que le cahier des charges de l´étude, qui devrait s´étaler sur une année, prévoit d´associer les professionnels algériens, il semble que le temps de l´impunité est compté pour les barons du corail qui ont bâti des fortunes en bradant le patrimoine de la collectivité nationale.
Le 30 décembre dernier, les éléments de la gendarmerie nationale ont arrêté une bande de 11 personnes, spécialisée dans la pêche et la vente illicites de corail. Onze kg de corail brut ainsi que du matériel exploité pour cette activité clandestine ont été saisis. Cette saisie n´est qu´un infime indice de l´étendue et de la gravité du trafic que d´aucuns comparent volontiers à celui de la drogue qui transite par le sol algérien pour atteindre les rivages européens.
A première vue, il semble que l´appétit des braconniers algériens mais aussi étrangers (Italiens et Tunisiens principalement) ait été aiguisé par la décision prise par l´Etat algérien en vertu du décret 01-56 du 15 février 2001, interdisant la pêche du corail, pour faire l´évaluation de la richesse corallienne et réglementer son exploitation. Les Italiens, dont la présence dans le secteur remonte à plus d´un siècle, n´ont fait que contourner l´interdiction d´exportation du corail édictée en 1992. Grâce à la complexité des relations qu´ils ont nouées en Algérie, notamment à l´Est, ils ont réussi à monter une organisation composée de trabendistes algériens, qui s´occupent de faire parvenir le corail en Italie.
Sachant que les côtes tunisiennes, marocaines, françaises et même italiennes, sont vidées de leur corail, même les billes de corail de moins de 8 mm de diamètre, pourtant frappées d´interdiction d´extraction y passent, racontent, outrés, des professionnels qui ont mis la clé sous le paillasson.
Pour l´histoire, entre 1832 et 1863, les Italiens sont très présents dans la pêche au corail. A titre d´exemple en 1859 on compte 176 bateaux corailleurs sur tout le littoral algérien, 154 sont italiens ! Depuis la promulgation du décret exécutif du 15 février 2001, les 30 navires spécialisés dans la pêche au corail sur les 1850 bateaux que compte la flotte de pêche nationale ont tous été désarmés, selon le secrétaire général du ministère de la Pêche. Leur espoir est, depuis, suspendu à l´évaluation des ressources et l´élaboration d´un schéma directeur d´exploitation censé préserver leurs emplois. A ce propos, notre source indique que près de 50% des professionnels du corail ont déposé leurs dossiers pour la reconversion de leur flottille au niveau du ministère. Le dispositif de reconversion à fonds perdus bénéficie du programme d´aide à la relance économique, a-t-il encore ajouté. Le ministère récuse également la thèse défendue par l´association des professionnels de la pêche et du corail et selon laquelle les corailleurs sont condamnés à mourir s´ils sont forcés de se reconvertir en pêcheurs. «Les pêcheurs corailleurs sont des pêcheurs avant tout», a précisé M.Kamel Alem, conseiller du ministre chargé du dossier du corail. Toujours selon lui, la méthode de travail pour l´évaluation de la richesse corallifère a été arrêtée par la tutelle et elle a été approuvée par les spécialistes égyptiens et français, intéressés par la réalisation de la cartographie du corail en Algérie. Interrogé sur le manque à gagner occasionné pour les professionnels par cette décision d´interdiction, notre source est formelle. «Les professionnels savaient depuis 1996 que la pêche du corail allait être suspendue à partir de l´an 2000. Certains ont tout de même continué à s´équiper. Ils auraient dû prendre leurs précautions».
A titre indicatif, des pêcheurs qui réalisaient jusqu´à 700, voire 900 kg de corail par saison dans l´Est algérien, et qu´ils cédaient aux seuls clients italiens détenteurs du marché par le biais d´autorisation d´acquisition d´usines de transformation en bonne et due forme, ont tenté de s´équiper à leur tour avant d´être contraints de liquider leurs installations et de libérer le personnel.
Le revers de la médaille c´est aussi la bijouterie artisanale qui est en panne de corail depuis cette décision d´interdiction. Les artisans bijoutiers tirent la sonnette d´alarme et pour ceux qui n´ont pas le choix que de continuer à exercer le métier, le recours au marché noir pour l´acquisition du corail avec son lot de risques devient la seule alternative. Cette préoccupation a été portée à la connaissance du secrétaire général du ministère de la Pêche. En guise de réponse, il dira que le bijoutier n´est pas en reste et que «l´artisan de Beni Yenni a tout à gagner à travers cette mesure». Il ira plus loin en affirmant que le schéma directeur d´exploitation du corail algérien permettra au secteur de l´artisanat de préserver les emplois existants, voire d´en créer d´autres.