DE ZELFANA A TIMIMOUN
Voyage initiatique
On pourra peser autant qu’on le voudra du poids de ses spécificités, jamais l’on échappera aux incontournables règles universelles et intemporelles. La citoyenneté, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, ne s’octroie pas par un quelconque décret du prince, elle s’acquiert laborieusement.
Algérie 2004, exit du populisme, on ose l´espérer. La culture de la citoyenneté et de l´initiative marque son territoire à pas mesurés chassant du coup celle de l´assistanat et d´une préjudiciable maternance de l´Etat. La dynamique associative aura permis à tout un potentiel humain en attente d´implications de s´engouffrer dans les brèches offertes et de choisir chacun son créneau. Dans le milieu associatif on est conscient, quel que soit le créneau pour lequel on a opté, d´être tacitement investi d´une part de la mission de formation citoyenne. C´est le cas pour l´ Association d´activités de loisirs et de tourisme de jeunes, l´AALTJ, où le Rubicon a été franchi depuis quelques années. «Nous avons été poussés par la volonté de faire connaître aux Algériens leur propre pays dans des conditions qui rompent avec le tourisme classique, tant au point de vue des coûts, l´ AALTJ étant à but non lucratif, que de la méthode», nous confie son président Rédha Amirèche.
On pourrait ajouter qu´un bon citoyen est celui qui privilégie la connaissance de son pays avant de s´en aller au-delà des mers! Nous nous sommes donc embarqués pour Cythère, avec pour navire un bus Toyota et pour mer mes Hauts Plateaux enneigés et au bout du périple la face sud est du Grand erg occidental. La première nuit, nous la passerons dans la coquette station thermale de Zelfana complètement relookée. Une réussite architecturale ! Néanmoins, les restaurants, les cafés ont toujours quelques encablures de retard. Pour ceux qui effectuent leur baptême du Sud, des mythes vont s´effondrer, à commencer par celui de la chaleur. La nuit, il fait un froid de canard.
Durant toute notre randonnée, à aucun moment, il ne sera question de l´habituelle douceur hivernale subsaharienne.
Nous formons un groupe avec son code. La randonnée, outre qu´elle permet à des Algériens de se prendre en charge en organisant leurs loisirs, est un moment d´apprentissage de la vie en communauté. Sans ce microcosme social de métal, qui file à vive allure, l´acte le plus banal prend une importance considérable du fait de cette subite intimité entre des hommes, des , des enfants, qui deux jours auparavant, ne se connaissaient pas. Des règles tacites s´imposent très vite aux esprits à commencer par celles de bon voisinage lesquelles dans nos cités battent furieusement de l´aile. L´acquisition des réflexes citoyens passe par de petits détails...
Nous sommes en route vers Timimoun. Les premières dunes apparaissent autrement vues, autrement appréciées qu´en cartes postales. L´émerveillement est total. Les habitués du Sud envient ceux qui le découvrent. On s´arrête à la demande des enfants, ils veulent emplir de sable roux leurs sachets de nylon. «Un sable qui fera date pour eux» fait remarquer un père de famille. Quelqu´un explique que «là où le sol est rocheux, caillouteux, c´est le Reg et les dunes, c´est l´Erg» Pour l´un des touristes, ce ne sont des mots qu´il ne rencontrait «qu´en faisant des mots croisés». Dans l´association, les rôles sont partagés. La fonction pédagogique ne se démentira jamais. Tim est enfin là, nous passons devant Bab Soudan, son plus vieux monument.
Tim la Rouge avec son quartier ancien (Azzegah en tamazight). Lors de notre séjour, la cité restait sur sa faim, elle venait de connaître une effervescence extraordinaire. Il s´y était tenue la Can Junior, un festival international du film pour enfants, le Marathon des dunes fut un véritable succès et la fondation Déserts du Monde avait choisi la capitale du Gourara pour y tenir des assises internationales. Imaginez un peu l´ambiance. Quant aux commerçants, ils avaient pris sur eux de tripler tous les prix sachant qu´une telle opportunité ne se présentait qu´une fois l´an. Pour les touristes, cela n´aurait pu mieux tomber. Tout le folklore et tout l´artisanat sahariens s´étaient donné rendez-vous sur les côtés de la grande avenue qui coupe la ville en deux. Tim est-elle en train de devenir une destination à la mode ou ce n´est qu´un feu de paille que l´on allume une fois l´an? Le tourisme, s´il a quelque peu augmenté ces derniers temps, stagne. Les autorités locales doivent s´en rendre compte, la ville en dehors du boulevard central est sale.
Aucun effort n´a été entrepris pour rendre Tam plus attrayante. Un gourbi a été proposé à des étrangers en visite à dix mille dinars la nuit. Nous passerons nos nuits dans une petite maison au coeur de la palmeraie louée à un privé. Cela vaut pour tous les quatre étoiles de la région. En fait d´étoiles nous les aurons toutes au-dessus de la tête quand nous irons bivouaquer à Ouled Saïd. Nous passons la nuit autour d´un feu de bois et de feuilles séchées de palmiers. Nous dormons peu, le froid est intense malgré nos sacs de couchage et nos couvertures.
Un gosse se plaint, sa mère lui répond: «C´est une épreuve, comme le Ramadan...tu sauras ce que c´est que de dormir dehors, et encore tu es couvert et tu as le ventre plein».
Les sollicitations d´un Timimoun hors normes ne nous ont finalement que peu intéressés. La grotte d´Ighzer, le ksar hiératique d´Aghlad, la nudité évocatrice de Kali, le dénuement de Tasfaout et la gentillesse des habitants d´Ouled Aïssa, l´enclavement préjudiciable de ces deux établissements humains, auront revêtu pour nous plus d´intérêt que tout le reste. Durant deux jours entiers nous nous sommes assis sur les bancs mouvants de l´école de l´humilité où nous avons pu relativiser nos propres tourments.
Parmi nous, deux architectes, dont l´un professe à l´EPAU d´Alger. Les deux sont unanimes à dire que le Gourara, en particulier ses ksour «est une réelle source d´inspiration pour ceux qui exercent ce passionnant métier». En particulier le ksar d´Aghlad qui mériterait d´être restauré au même titre que celui de Béni-Abbès.
Trois cents des 1200 ksour que compte l´Algérie se trouvent dans cette région et témoignent d´une grandeur passée. Aujourd´hui ces ksour, rose-granit ou vert de gris, sont inhabités. Ils sont endormis pour l´éternité, sépulcres abandonnés, néanmoins évocateurs d´une richesse historique incontestable.
Quelle idée de bâtir autant de forteresses dans de tels lieux? Explication: des noms d´établissements humains aux connotations maritimes attestent d´une époque où l´on naviguait sur les eaux salées de la grande Sebkha de Timimoun. Aguelmane veut dire lac en zénète, El-Mers signifie le port et El-Marsa la rade. Par ailleurs, des archéologues ont révélé, à Tindjellet, trois niveaux d´habitations et de tombes correspondant aux abaissements successifs des eaux.
Pour initiatique qu´il fut, ce périple ne se sera pas cantonné dans un rôle de promenade d´agrément. Nos touristes auront pu constater qu´il n´y a de désert que dans l´esprit des hommes. Pas de désert au sens d´un néant abyssal sans aspérités pour freiner la chute.
Le Sahara a un riche passé, chaque ksar aura ainsi pu témoigner de la civilisation zénète. Les coquillages pétrifiés seront le témoignage, s´il en était encore besoin, qu´une mer couvrait autrefois cet espace gigantesque.
Quant à l´avenir du Sahara, qui oserait aujourd´hui prétendre que ce n´est là qu´une vue de l´esprit? Prochaine sortie organisée par l´AALTJ, le M´Zab, sa pentapole augmentée désormais d´une unité avec à la clef une immersion dans l´Ibahdisme, un art de vivre, une lecture de la religion méconnue des Algériens.