LIBANAIS ET PALESTINIENS
Les autres victimes du GMO
«Deus ex machina» Intervention divine pour dénouer une action dramatique
Encore une fois, le Moyen-Orient se rappelle au quotidien à notre bon souvenir avec son lot de désolation. Une fois de plus, les civils palestiniens vont faire les frais de combines. Plongeons-nous dans le passé pour tenter de comprendre le présent et, avant toute chose, essayons de comprendre "l´engouement" français pour le Liban. Ce petit pays, "ce cher Liban" pour reprendre l´expression du général de Gaulle, fait l´objet de toutes les attentions de la France. Pour l´histoire, les maronites sont des Arabes chrétiens habitant au nord-est de Beyrouth et dans le Becherre au sud de Tripoli. Ils tiendraient leur nom soit de Saint Maroun (Ve siècle) ou de Jean Maroun prêtre d´Antioche qui vivait au VIIe siècle. Selon la tradition, relate Yver, Maroun se serait retiré dans les montagnes avec les chrétiens qui refusaient d´embrasser l´Islam. Durant la période des Croisades, les maronites furent les alliés fidèles des Francs. Saint-Louis leur accorda, officiellement, sa protection par sa lettre du 21 mai 1250. Il y déclare, notamment que "la nation établie sous le nom de Saint Maroun est une partie de la nation française".(1).
Les maronites furent souvent victimes de persécutions, notamment de la part des Druzes à partir de 1841. Par la suite, le jeu trouble des puissances occidentales anglaises et françaises attisa les haines et les rancoeurs dans un empire ottoman vermoulu à qui on imposa un gouverneur chrétien "moutassarif" de la région de la Grande Syrie. Le Liban n´existait pas en tant que tel. Selon l´analyse du colonel Charles Henry Churchill, "la sécurité satisfaite de soi et même la supériorité que les chrétiens occidentaux nourrissaient sous la protection "ostentatoire" du consul de France à Beyrouth en 1857, ont accru le fanatisme de la population locale blessée dans son orgueil. Profondément choqués par les nouvelles aspirations des chrétiens, les musulmans sont aussi jaloux de la richesse et de la puissance que ces derniers se mettent à étaler de façon provocante. En conséquence, l´Islam commence à se tenir sur la défensive". On peut donc raisonnablement dire que les malheurs des Arabes des temps modernes datent du début de l´ingérence et du jeu confessionnel trouble de l´Occident dans cette région du monde.(2)
L´Empire ottoman participe à la réunion du 9 juin 1861; des territoires lui sont enlevés et de plus, injonction lui est faite de nommer dans la Grande Syrie (Liban y compris) un gouverneur de confession chrétienne. On remarque que depuis plus de 150 ans, les chrétiens d´Orient ont servi à la fois de pretexte politique et religieux à l´Occident, pour pénétrer l´Orient sur le mode colonial. Ce qui, naturellement, devait déboucher au dépeçage de l´Empire ottoman avant même que la Première Guerre mondiale ne se termine par les fameux accords secrets Sykes-Picot.(3) A la suite des accords Sykes-Picot de 1916, la Société des nations confia à la France, le 25 avril 1920, à San Rémo un mandat A sur la Syrie et le Liban, détachés de la Turquie vaincue, le même type de mandat ayant été confié à la Grande-Bretagne sur la Palestine et l´Irak. Soueida sera la capitale de l´État du Grand Liban (arrêté du 31 août 1920) dont l´indépendance fut proclamée le 1er septembre 1920 par le général Gouraud. L´État du Grand-Liban fut divisé, par arrêté du 1er septembre 1920, en quatre sandjaks: Liban-Nord; Mont Liban; Liban-sud et Bekaâ et en deux municipalités autonomes: Beyrouth et Tripoli. En juin 1941, les troupes anglaises pénétraient en Syrie et au Liban et, après la conclusion d´un armistice, le 14 juillet, avec les forces françaises, les deux territoires passaient sous le contrôle de la France libre. L´indépendance de la Syrie et du Liban fut proclamée en septembre et novembre 1941, mais ne devint effective qu´à la fin de la guerre. Les dernières troupes françaises et anglaises n´évacuèrent les deux États qu´en 1946. Le "Document d´entente nationale", qui devait mettre fin à quinze ans de guerre civile au Liban, ratifié dans la ville saoudienne de Taëf par les députés libanais en novembre 1989, a pour origine un plan en sept points, Cet accord est défini comme "le pacte de la coexistence", préconisait la fin des hostilités, une nouvelle formule de partage du pouvoir, le retrait des troupes syriennes jusqu´à la Bekaâ et l´élection d´un nouveau président. L´accord de Taëf réaffirme en premier lieu, l´unité, la liberté et l´indépendance du Liban. Par-delà son caractère multiconfessionnel, l´Etat libanais est unitaire, ce qui exclut de le transformer en une confédération ou une fédération de communautés confessionnelles. Le Liban entretient avec la Syrie "des relations privilégiées qui tirent leur force du voisinage, de l´Histoire et des intérêts fraternels communs". Malgré cela, il faut bien convenir que la détresse des Palestiniens est en grande partie prise en charge à son corps défendant par le Liban qui abrite les réfugiés dont aucun pays arabe ne veut. Souvenons -nous de l´extermination opérée par le roi Hussein de Jordanie en septembre 1970. Jean Daniel écrit: "Ce qui commence enfin à paraître véritablement scandaleux aux yeux des jeunes générations libanaises. Elles se demandent comment leurs aînés ont pu accepter de signer, en 1969, des accords que l´on nomme encore les accords du Caire. Aux termes de ces accords, les Egyptiens, les Syriens, les Jordaniens et tous les autres pays alentour interdisent à leurs Palestiniens la moindre action anti-israélienne. Le Liban est le seul pays, je dis bien le seul, où les Palestiniens se sont vu accorder le droit à la résidence et au travail, comme le droit aux déplacements, à la constitution de comités locaux, et surtout à la présence de postes de lutte armée, destinés à permettre aux Palestiniens de faire leur révolution par l´intermédiaire de la lutte sur les frontières israéliennes".(4)
"Ce jour-là, c´est-à-dire le lundi 3 novembre 1969, la délégation libanaise et la délégation de l´OLP présidée par Yasser Arafat ont décidé, sans le dire expressément, mais cela ne trompait personne, que le Liban serait amené à être le seul pays bombardé, pillé, dévasté, crucifié par la guerre israélo-arabe. Les Syriens avaient arrêté tous les chefs palestiniens. Les Jordaniens allaient, l´année suivante (Septembre noir), en massacrer quelques milliers. Les Egyptiens venaient de recevoir la pile que l´on sait (1967). C´était aux Libanais et à eux seuls de se sacrifier, alors qu´il y avait depuis 1948 un accord d´armistice entre le Liban et Israël. Ces accords du Caire ont été conçus par le président égyptien Gamal Abdel Nasser. Aujourd´hui, sur la frontière libano-israélienne, il devrait y avoir l´armée libanaise. Mais ni la Syrie ni d´ailleurs l´Iran ne l´entendent de cette oreille. Entre l´armée israélienne et l´armée libanaise, très vite, comme ailleurs, l´armistice serait conclue...Le Hezbollah a tenté avec beaucoup d´habileté de se servir de ses faits d´armes contre Israël pour orienter le Liban dans le sens d´un nivellement arabo-musulman et d´une perte de singularité. Quant aux Palestiniens, il faut les entendre: certains d´entre eux parlent du Liban comme d´une patrie perdue, où ils étaient dominateurs et respectés".(4).
"Pour Jean Daniel, l´assassinat à Beyrouth de l´ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, rappelle, combien, cette région demeure explosive, même après une trêve de quinze longues années au Liban...On prêtait à certains d´entre eux rien de moins qu´un désir de désorganiser les forces militaires d´Israël et de ruiner totalement le moral des civils. La force dévastatrice de la répression a conduit au contraire à saper le moral des Palestiniens et à démontrer la détermination d´Israël à ne pas connaître le destin des croisés du royaume franc de Jérusalem ou celui des colons français à la fin de la guerre d´Algérie".(5) Voilà pour l´histoire. Comment se présente le Liban après la mort de Rafic Hariri? Pourquoi après la démolition du Liban en juillet août 2006 par Israël, cette nouvelle flambée de violence avec toujours les mêmes perdants; les Palestiniens et les Libanais? Quelle est la finalité des combats entre le Fatah Al Islam et l´armée libanaise aidée par un véritable pont aérien en armes et munitions pour écraser quelques dizaines de Palestiniens?
Retranché dans le camp de réfugiés palestiniens de Nahr Al-Bared dans le nord du Liban, le Fatah el Islam a exclu, mercredi 23 mai, l´idée de se rendre à l´armée libanaise. Son porte-parole, Abou Salim Taha, a déclaré que son mouvement respectera la trêve, en vigueur. Curieusement, tout le monde est contre Fath El Islam le représentant de l´Organisation de libération de la Palestine (OLP) au Liban, Abbas Zaki, a indiqué, mercredi 23 mai, que son organisation ne s´opposerait pas à une décision du gouvernement d´envoyer l´armée dans le camp. Du côté de la Ligue arabe, les réactions ont également été très fermes. Lors d´une réunion d´urgence au Caire, en Egypte, ses membres ont, dans un communiqué publié mercredi, "fermement dénoncé les actes criminels et terroristes commis par le groupe terroriste dénommé ´Fatah Al-Islam´ (...) qui n´a aucun lien avec la question palestinienne ni l´Islam".(6).
"Le Fatah Al-Islam est-il le signe extérieur d´une entrée en force de l´islam radical au Liban? s´est interrogé Patricia Khoder dans le Courrier international. Le groupe islamiste se réclame de la mouvance salafiste proche d´Al Qaîda. Evalué à quelque 200 ou 300 combattants libanais, palestiniens, syriens, voire saoudiens, le Fatah Al-Islam est surtout installé dans le camp de réfugiés palestinien de Nahr Al-Bared, mais il est aussi présent dans les camps de Baddaoui et de Bordj Al-Barejna. Il appelle à la guerre sainte contre Israël, mais aussi contre ses alliés occidentaux.(7)
Parmi les causes de cette flambée, Hasni Abidi, directeur du Centre d´étude et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam), estime que la création du Fatah Al-Islam est pour le moins troublante. "L´agenda politique de la Syrie laisse entendre qu´elle est derrière ce mouvement. On peut se demander si l´Arabie Saoudite sunnite ne joue pas aussi de son influence afin de contrer le pouvoir grandissant du Hezbollah chiite."Pour Hasni Abidi, il ne fait pas de doute que l´émergence du Fatah Al-Islam a été favorisée par les conditions socio-économiques très précaires qui règnent dans les camps palestiniens, par l´impasse politique au Liban(7).
On sait, par ailleurs, que le procès des assassins de Rafic Hariri devra s´ouvrir incessamment. La France y tient particulièrement. On explique cette flambée par cette diversion syrienne pour freiner le tribunal qui aurait à juger d´une éventuelle implication de la Syrie. Pour les Occidentaux, la Syrie est le Deus ex Machina capable de dénouer cette crise.
Plus de 10.000 des 30.000 réfugiés palestiniens du camp de Nahr El-Bared ont quitté les lieux après avoir passé trois jours entre les feux de Fatah Al-Islam et de l´armée libanaise. Nés dans des pays d´accueil, ballottés entre des camps, n´ayant que des cartes de réfugiés pour tout papier d´identité, pauvres parmi les pauvres mais tentant de vivre dignement malgré tout, les civils palestiniens ont appris, avec le temps et après leurs amères expériences, accumulées depuis 1948, à ne plus s´en remettre qu´à Dieu. Les rues de Beddaoui -camp généralement calme et tranquille- grouillaient de monde. "C´est un complot contre nous. Le gouvernement Siniora et ses partisans veulent la guerre civile. Ils ont eux-mêmes créé Fatah Al-Islam pour déclencher la guerre et accuser les réfugiés palestiniens encore une fois d´être à la base d´événements au Liban. "C´est pire que les massacres de Sabra et Chatila [en septembre 1982]". "L´armée libanaise a agi trop tard. Il fallait qu´elle prenne ce genre de mesures il y a des mois. Les combattants de Fatah Al-Islam sont des criminels, des terroristes, des bouchers. Cela fait plus de six mois, depuis qu´ils sont apparus à Nahr El-Bared, que nous vivons dans la terreur. Désormais, écrit Stéphane Bussard,au pays du Cèdre s´affrontent trois tendances, relève le quotidien libanais Al-Akhbar, proche du Hezbollah: le courant nationaliste arabe représenté par le Hezbollah, la tendance sunnite du camp Hariri, soutenu par l´Occident et défenseur d´un Liban neutre, et enfin le courant salafiste. Quant au leader du Fatah Al-Islam, Chaker al-Abssi, il a été condamné à mort par contumace par un tribunal jordanien pour avoir tenté d´assassiner un diplomate américain".(8).
Les affrontements provoqués par le Fatah Al-Islam au Liban résument à eux seuls la crise qui agite l´ensemble du Proche-Orient. Elle s´explique par de nombreux facteurs, mais l´un des plus importants est toujours passé sous silence: [l´absence de] réforme religieuse et de réconciliation de l´Islam avec l´Etat-nation...Il y a ensuite la collusion du régime syrien avec des groupes islamistes de terreur, ce dont les camps palestiniens de la ville de Tripoli offrent une belle illustration. Tandis que les Arabes ânonnent de grands discours sur la solidarité avec la résistance palestinienne, ces groupes finissent par intimider tous ceux qui n´en font pas partie.
"Finalement, est-il écrit dans le journal Al Hayat, les Etats arabes sont incapables d´offrir une solution au problème des réfugiés palestiniens qui se trouvent sur leur sol. Alors qu´on affiche une adhésion à leur cause, on les enferme dans des camps. Il faudrait inverser l´équation et commencer par cesser les grands discours et faire de petits pas dans la résolution des petits problèmes quotidiens. Cessons de nous intéresser à "la cause" et intéressons-nous plutôt aux êtres humains. Avant qu´ils ne deviennent des kamikazes".(9).
Toutes ces raisons ne peuvent occulter que la boîte de Pandore ouverte par les Américains est en train de libérer tous les démons et les forces du mal. A force d´imposer une démocratie aéroportée par le truchement d´un Grand Moyen-Orient version moderne des accords de Sykes -Picot et de la déclaration de Balfour dont ont connaît les bienfaits, les sociétés arabes sont plus que jamais tétanisées par l´absence de perspective et par l´impression que l´impasse est en passe de durer mille ans. Les seuls gagnants dans cette affaire, outre naturellement Israël qui défie les dizaines de résolutions de l´ONU,sont les potentats et autres Républiques dynastiques qui perpétuent dans les faits et pour le compte des Occidentaux, la lente agonie des Arabes.
1.Yver: Les maronites et l´Algérie: Revue africaine. Vol. 61, p.165-211, 1920.
2.Charles Henry Churchill: The Druzes and the maronites. Edtions Quarich.p.115-119. 1862.
3.C.E. Chitour. L´Islam et l´Occident chrétien: Pour une quête de la tolérance. Editions Casbah. Alger. 2001.
4.Jean Daniel: Mainmise syrienne et arrestations arbitraires Le Liban sacrifié. Nouvel Observateur N°1921-30/8/2001.
5.Jean Daniel Changer le monde...Nouvel Observateur Hebdo N° 2102-17/2/2005
6.Au Liban, le monde arabe poursuit sa stratégie d´isolement du Fatah Al-Islam. Le Monde avec AFP 23.05.07
7.Patricia Khoder. Mais qui est donc le Fatah Al-Islam? Courrier international 24 mai 2007
8.Stéphane Bussard: Le Temps 23 mai 2007
9.Syndrome. Une crise à l´échelle du Moyen Orient hebdo n° 864-24 mai 2007 Al Hayat.