COHABITATION ENTRE LES RELIGIONS
voyage sur les terres de l’intolérance
<B>«Dieu t´a créé libre. Soit comme il t´a créé. Ne t´inquiète pas de ce que pense ta famille dans la ville, ni tes compagnons dans le voyage. Agis pour Dieu et non pour les gens»</B> Bichr el Hafi: Bichr le va-nu-pieds (soufi: 767-841)
Comment le XXe siècle qualifié en son temps de siècle de la science, du progrès, de la tolérance, a-t-il pu de terminer, quelques années après l´an 2000, d´une façon aussi chaotique avec les prémices de l´intolérance à tout bout de champ, personne ne pardonne plus à personne. Le nouveau siècle a eu comme héritage une désorganisation du monde latente et qui a révélé au grand jour les contradictions d´un monde unipolaire. Plus rien ne s´oppose en effet à l´hyperpuissance américaine dirigée d´une façon messianique et conquérante par le fer et par le feu, et appelant ouvertement Armagueddon qui finira par la fin des temps et la parousie.
A ce dérèglement du monde, on constate parallèlement un dérèglement climatique porteur de tous les dangers. Ecoutons ce qu´en pense, interrogé par le journal L´Expansion, sur l´affirmation que le mode de vie actuelle mène à la catastrophe, Jean-Pierre Dupuy philosophe et polytechnicien, qui déclare: Je ne dis pas que la chose est certaine, mais que, si elle se produit, on pourra affirmer rétrospectivement (s´il reste encore des humains pour le penser) que telle était la destinée de l´aventure humaine. Or, c´est un destin que nous pouvons choisir d´écarter. Si nous sommes engagés sur un chemin suicidaire, rien ne nous interdit d´en changer. Il existe une horloge de l´apocalypse (Doomsday clock), mise au point en 1947 par des physiciens atomistes qu´avait choqués Hiroshima. Elle indique le nombre de minutes symboliques qui nous séparent de minuit, c´est-à-dire de la fin du monde. L´aiguille a d´abord été fixée à sept minutes avant le moment fatal. Avec l´avènement de la bombe H, en 1953, elle a été avancée à moins deux minutes, pour revenir à moins dix-sept après la chute du mur de Berlin. Depuis janvier dernier, nous sommes à moins cinq de minuit, plus près qu´en 1947, donc. Pour trois motifs: une nouvelle ère nucléaire, caractérisée par la prolifération et par le terrorisme; le réchauffement climatique; la perte de contrôle de certaines technologies avancées. La seule façon d´échapper à l´apocalypse est de la croire inéluctable...Avec la convergence entre les nanotechnologies et les biotechnologies, l´homme prend la relève des processus biologiques, il participe à la fabrication de la vie. Or celui qui veut fabriquer de la vie ne peut pas ne pas viser à reproduire sa capacité essentielle, qui est de créer à son tour du radicalement nouveau. L´ingénieur de demain sera un apprenti sorcier non par négligence ou par incompétence, mais pas par dessein. C´est effrayant et fascinant à la fois. La condamnation ou l´indignation morale serait une réponse un peu courte à cette mutation profonde de la technologie.(1)
Nous voyons donc qu´en plus de l´errance des sens, on s´aperçoit que la Nature participe par ses colères -inondations catastrophiques, sécheresse-au désarroi d´un monde où les cultures et les religions s´anathématisent. De plus, dans cet Occident des paradoxes, il y a une sécularisation du monde au profit d´une nouvelle religion sans frontière, sans ethnie au nom d´un money-théisme la religion de l´argent, sans état d´âme qui achève de déstructurer les cohésions sociales et les valeurs que les sociétés ont mis des siècles à sédimenter et que le libéralisme sauvage se propose de jeter aux orties parce que ce ne sont pas des produits marchands. Au risque de paraître ringard, certaines traditions, certains comportements sociaux, qui constituaient la superstructure ont sauté sous les coups de boutoir d´une mondialisation conquérante qui fait fi des identités, fussent-elles culturelles et religieuses. Vieillir est dévalorisé, l´humanité actuelle communie dans le culte du corps et de la vitesse. Même les mariages-jadis à vie-sont devenus des CDD sans lendemain. On comprend, de ce fait, le désarroi des individus libres mais livrés à eux-mêmes sans repères. Il vient que les religions, notamment en Occident reprennent du service. Il est curieux, cependant, de remarquer que les nouvelles religions n´ont rien à voir avec la foi du charbonnier. Pour les individus-sujets, la religion s´apparente à une grande surface où chacun prend de la religion ce qui l´intéresse, il se bricole ainsi un itinéraire, une tariquah, dirions-nous. Cependant, si la religion en Occident semble malgré tout perdre du terrain, à titre individuel, il y a, par exemple, de moins en moins de prêtres, elle demeure cependant un puissant catalyseur de mobilisation contre une religion qualifiée de conquérante et d´intolérante. Il s´agit du regard porté sur l´Islam ou plutôt d´un nouveau concept flou à souhait: l´islamisme que le monde occidental combat par tous les moyens, notamment les médias sous toutes leurs formes
Deux exemples tirés de l´actualité récente nous permettront de comprendre le dérèglement du monde. On apprend par une presse main stream que 22 otages sud-coréens sont aux mains des Talibans. Plus d´une centaine de dépêches toutes plus ou moins orientées conditionnent l´opinion internationale, notamment occidentale, sur la barbarie des Talibans qui s´en prennent à un groupe de touristes puis on apprend que ce sont des volontaires humanitaires et on finit par deviner que ce sont en fait des évangélistes en mission. Mieux: toutes les agences occidentales et extrême-orientales ont repris en choeur l´information sur l´exécution d´un membre du groupe, Bae Hyung-kyu, un pasteur chrétien qui était le responsable des 22 autres volontaires évangélistes. Ces évangélistes chrétiens se trouvaient officiellement en mission humanitaire. Voilà pour la partie visible de l´iceberg.
Dans la même région, dans le même temps, les troupes de l´Otan décimaient des populations. Très peu de messages des agences, il faut vraiment fouiller pour trouver l´information. Reuters nous apprend: Des dizaines de civils, parmi lesquels des femmes et des enfants, ont été tués dans des frappes aériennes effectuées par les troupes de l´Otan dans le sud de l´Afghanistan, rapportent des habitants et un député du Parlement régional. L´une des frappes a détruit jeudi soir des habitations du district de Girishk dans la province d´Helmand, tuant près de 50 civils, a déclaré à la presse à Kandahar un groupe d´une vingtaine d´habitants. (2)
Que déduire de cela? Pourquoi l´information n´est-elle pas neutre? En dehors du problème de la présence étrangère en Afghanistan, du retour des Talibans et de leurs méthodes singulières pour obtenir la libération des leurs? La vie des otages coréens est précieuse. Elle est aussi précieuse que celle de la cinquantaine d´hommes de femmes et d´enfants, décimés lors d´une bavure -une de plus- des Occidentaux. Comment en est-on arrivé là? En fait, comme l´écrit Ha Jong-o, les conflits opposent les différentes tendances de l´Islam, mais aussi l´impérialisme et le nationalisme. Mais fondamentalement, il s´agit d´un affrontement entre deux civilisations, le christianisme et l´Islam. Un choc entre le monde chrétien représenté par les Américains tenant à la main des billets verts sur lesquels on peut lire: In God We Trust et le monde islamique brandissant le Coran. Plus de 16.000 protestants sud-coréens oeuvrent à l´évangélisation dans 173 pays du monde. Ils n´hésitent pas à se livrer à une véritable croisade dans des pays islamiques où tout prosélytisme en faveur des autres religions est pourtant interdit. Ce problème nous fait penser à L´Invité; un livre écrit par Hwang Sok-yong. Le roman traite d´une affaire connue: le Massacre en Corée, en pleine guerre de Corée, à Sinchon, 35.383 personnes, soit un quart de la population de la ville, ont été tuées. L´auteur révèle qu´à l´origine du drame, il y a eu deux «hôtes» étrangers, à savoir le christianisme et le marxisme.(3)
Pourtant cet Islam voué aux gémonies a été le catalyseur d´une civilisation de près de huit siècles qui a donné à l´humanité ses heures d´harmonie et de tolérance. Et c´est en Andalousie, lieu de nostalgie et d´enchantement, que la civilisation arabe avait atteint son apogée. Et c´est également en Andalousie que la symbiose judéo-arabe a été au zénith de sa splendeur. A titre d´exemple, lorsque en 711 le soleil d´Allah brilla sur l´Occident, les juifs d´Espagne accueillirent les musulmans en libérateurs. A l´époque, ils vivaient des périodes difficiles sous le règne des rois wisigoth. La conquête musulmane va, non seulement les libérer du joug de leurs oppresseurs, mais va permettre à l´histoire juive de connaître sa période la plus florissante... Pendant que les juifs andalous menaient une vie libre, raffinée et savante, leurs coreligionnaires dans les autres contrées de l´Europe subissaient des mesures antijuives draconiennes. Il n´y eut aucun âge d´or pour eux: ni philosophes, ni poètes, ni savants. Ils furent traqués, humiliés et finirent isolés dans des quartiers séparés, les ghettos.(3)
Cette tolérance qui dura des siècles ne fut détruite qu´après la Reconquista sous les coups de boutoir de l´Eglise espagnole avec à sa tête le grand inquisiteur Torquémada et ceci malgré l´horreur des croisades au Proche-Orient. Par la suite, cette région des prophètes ne connut pas de répit sous l´effet conjugué de l´ouverture du commerce et du prosélytisme. Il vient que l´Islam fut constamment sur la défensive, il lutte pour sa survie, et ses extrêmes donnent de lui une image que l´Occident se repasse en boucle...
Dans ce XXIe siècle de tous les dangers, on ne peut comprendre, cette nouvelle paix armée décrétée par le pape Benoît XVI. Examinons à titre d´exemple, la dépêche suivante: Le secrétaire personnel du pape Benoît XVI s´est ému de l´islamisation de l´Europe et a insisté sur la nécessité de ne pas ignorer les racines chrétiennes du continent.
On ne peut pas nier les tentatives pour islamiser l´Ouest, aurait déclaré Monseigneur Georg Gaenswein, cité par le magazine hebdomadaire Süddeutschezeitung, paru vendredi 27 juillet. On ne devrait pas ignorer le danger que cela représente pour l´identité de l´Europe. Récemment, l´influent archevêque de Cologne, Joachim Meisner, a déclaré dans une interview à la radio Deutschlandfunk que l´immigration de musulmans a ouvert une brèche dans notre culture allemande, européenne.(4).
Ce qu´il faut souligner, c´est que les propos de Gaenswein ne sont pas anodins du tout. Plus qu´extrémistes, ils reflètent le traditionnalisme du pontificat de Benoît XVI. En réalité, la papauté se sent en concurrence avec l´Islam. Une concurrence qui penche en sa défaveur, puisque les populations musulmanes augmentent en Europe, tandis que le christianisme s´affaiblit. Les propos qu´il a tenus l´an dernier à Ratisbonne sur l´Islam étaient très indélicats. Benoît XVI tend à réveiller les catholiques, à donner un nouveau souffle au christianisme. Benoît XVI veut réveiller les catholiques(5).
On comprend, de ce fait, pourquoi il tente la réconciliation avec toutes les églises même celle de l´évêque d´Evreux (intégristes). Il faut faire barrage à l´Islam. Examinons les propos rapportés par une journaliste de La Croix: Dès les premiers temps de l´évangélisation, les chrétiens se sont répandus en Mésopotamie, dans la péninsule arabique, sur les rives du Nil et les bords de la Méditerranée. La présence du christianisme y est bien antérieure à celle de l´Islam, né au VII siècle.
On estime aujourd´hui à 11 millions le nombre de chrétiens présents au Proche-Orient, mais il est difficile d´évaluer avec précision leur nombre. Des groupes extrémistes, dont Al-Qaïda, qui chapeaute l´alliance sunnite appelée Etat islamique en Irak, en prennent aux chrétiens, qu´ils accusent d´être aux côtés des croisés des forces américaines. Des imams de Bagdad et, de Mossoul, la grande ville du nord, auraient même ordonné la mort des chrétiens qui refusent de se convertir à l´Islam ou de fuir le pays. Pour Mgr Matti Matoka. «Notre avenir est entre les mains de Dieu, mais nous voyons bien qu´il y a une tendance diabolique à expulser les chrétiens d´Irak et du Proche-Orient. J´espère que ça ne se produira pas. Le christianisme est né dans ces pays. Alors, comment pourrions-nous les quitter?»(6)
Pour Mgr Philippe Brizard interrogé par le journal La Croix le concept de minorité est probablement inadéquat dans ces pays multiethniques et multireligieux. Le terme de mosaïque traduit mieux la réalité. En Syrie, par exemple, les communautés alaouite, chrétienne et druze représentent chacune 10% environ de la population, les chiites 15%. Manifestement, il est une recette qui a fait son temps, c´est celle de l´Etat multiconfessionnel. Que peuvent faire les églises d´Occident? Nous devons porter, pense le cardinal, avec les chrétiens du Proche-Orient ce qu´ils ont à vivre. Et aussi les aider matériellement, financièrement...Rendez-vous compte ce que c´est que d´être réfugié dans le désert de Syrie, là où ont été déportés les Arméniens pendant le génocide! En Irak, on est au bord d´un génocide contre les chrétiens.(7)
En définitive, cette recrudescence de l´intolérance s´autoalimente. Au Liban coexisteraient, dit-on, 17 cultes différents, qui se côtoyaient dans une grande tolérance pendant des centaines d´années, des croyants des trois religions jusqu´à l´ingérence de l´Occident. Cette région du Moyen-Orient riche du fait religieux, est devenue, depuis plus d´un demi-siècle, un chaudron que les événements du 11 septembre 2001 ont fait déborder. Dans chaque camp, il n´y a pas de magister moral pouvant arrêter cette fuite vers le chaos. Il n´y a aucun signe avant-coureur d´un prochain apaisement. Les anathèmes des hommes se conjuguent avec la colère de la Terre. L´issue de l´humanité est de plus en plus problématique.
Fin du monde: il est moins cinq: L´Expansion le 01-06-2007.
2.Reuters - Dépêche de 13h26. Vendredi 27 juillet,
3.Ha Jong-o: Répandre la bonne parole en Afghanistan-Courrier international-26 juillet 2007
4.Le secrétaire du pape craint l´islamisation de l´Europe-Nouvel Obs. 27.07.2007
5.Peut-on qualifier d´extrémistes les propos du secrétaire de Benoît XVI sur l´islamisation de l´Europe? Nouvel Obs. 29072007. Propos recueillis par Solène Cordier
6.Sabah Jerges: L´espoir des premiers communiants (AFP)11/07/2007
7.Entretien avec Mgr Philippe Brizard, Anne-Bénédicte Hoffner. La Croix du 11/07/2007