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Adila KatiA, écrivaine, à L'Expression

«La femme est le coeur de la société»

Auteure de plusieurs romans, récits et nouvelles, Adila Katia nous raconte sa très longue passion avec l’écriture littéraire. Elle nous parle aussi de son dernier livre intitulé «Plus jamais», paru aux éditions Talsa.

L'Expression: À quand remonte votre passion pour l'écriture?
Adila Katia: Passionnée de lecture, j'ai toujours rêvé d'écrire. En première année, au collège Michelet, à Beauvais, lorsque le professeur m'interrogea sur le métier que je souhaiterai exercer plus tard, j'étais embarrassée car je pensais étudier longtemps et j'avais plusieurs métiers passionnants en tête: journaliste, psychologue, avocate et écrivaine. À onze ans, je croyais que c'était impossible. Lorsqu'il me demanda d'en retenir qu'un, je choisis celui d'écrivain. Le professeur principal me di: «Si tu y tiens vraiment, tu ne pourras que réaliser ton voeu, que tu sois journaliste, avocate ou psychologue. Pour être un bon écrivain, on doit être un bon psychologue pour comprendre la nature humaine, un bon journaliste pour rapporter les faits et un bon avocat pour savoir défendre tes idées!». Je m'imaginais déjà passer la moitié de ma vie sur les bancs des facultés pour le réaliser. Ma passion s'est révélée trois ans plus tard. La professeure de français, Mme Trichot, avait réuni les élèves et leur avait demandé d'écrire une histoire ou de la poésie. J'avais choisi la rédaction d'un récit. Je suivais assidument cette séance. Avant de rentrer au pays, elle m'avait conseillée de ne jamais oublier notre dernière conversation. «Quoi que tu fasses dans la vie, n'oublie jamais d'écrire! Tu as un don!» Je le lui promis sans savoir que je n'irai pas loin dans mon cursus scolaire. Ses mots ont toujours résonné en moi.

Cette passion a sans doute été nourrie par vos lectures, les premières notamment, pouvez-vous nous en parler?
Très tôt, j'ai découvert «les contes Machaho», de Mouloud Mammeri, les «contes du Caucase», «les Mille et Une Nuits»... Au fil du temps, ce furent les grands classiques; Honoré de Balzac, Molière... ainsi que nos auteurs Mohamed Dib, Mouloud Feraoun, Marguerite Taous Amrouche, Assia Djebar, Tahar Oussedik...

À l'époque où vous avez commencé à écrire, le nombre de femmes écrivaines, en Algérie, se comptait sur les doigts d'une seule main. Comment avez-vous vécu cette expérience?
Je n'avais pas l'impression d'en faire partie. J'avais écrit trois romans et ma passion ne dérangeait pas tant qu'elle ne m'obligeait pas à m'exposer. En cherchant comment éditer mon dernier roman, tout en laissant les deux premiers dans un tiroir, la proposition de contribuer dans le journal Liberté m'avait été faite. Elle tombait mal, au mauvais moment. Mon père avait refusé. Cependant j'étais déterminée à ne pas abandonner et j'avais envoyé des histoires à publier sans son aval. Il le découvrit un jour alors qu'on louait ma façon d'écrire. La fierté de la famille proche et élargie jusqu'au village fit que j'échappai à sa colère. Mon défunt père connaissait ma passion et certainement qu'il avait compris que rien ne pourrait m'empêcher d'écrire et de publier. J'étais lancée dans la presse, armée d'une plume passionnée que rien ne pouvait arrêter, même durant les années tragiques et sombres qu'a traversées le pays. Aussi, un peu comme George Sand, j'ai vécu de ma passion.

Ces nouvelles qui paraissaient dans les pages centrales de Liberté avaient connu un succès phénoménal, faut-il le rappeler. Pourquoi d'après vous?
La page centrale «Des Gens et des Faits» création purement algérienne, permettait aux lecteurs et aux lectrices de s'identifier. À commencer par les histoires de Khaled Benacer et le feuilleton ‘'Coup de coeur'' de Nacer Mouzaoui, la ‘'Chronique judiciaire'' de Djaafar Amrane et tant d'autres plumes qui revenaient apporter une bouffée d'oxygène aux lecteurs. Certains journaux avaient ouvert des pages d'amitié et de confidences. ‘'Des Gens et des Faits'' réunissaient les deux. Les écritures étaient empathiques, touchaient le coeur sans pour autant se départir de la raison.

On lisait énormément à l'époque, pouvez-vous nous illustrer un peu cet aspect, tel que vous l'aviez vécue en tant qu'écrivaine, dont les nouvelles étaient publiées dans le journal le plus lu en Algérie?
Certains journaux - Le soir d'Algérie, avec le Club de l'amitié - publiaient des messages de lecteurs. Les auditeurs, qui avaient accès aux antennes de la chaine 3, Franchise de nuit (pour ne citer que celle-là) confiaient leurs joies, leurs inquiétudes, les drames de leurs vies. Il y avait aussi des émissions inspirantes où un courrier était lu par un journaliste et les auditeurs intervenaient pour donner des conseils. J'étais à l'écoute de ces voix qui éprouvaient le besoin de s'exprimer. Le lectorat, s'est fidélisé parce qu'il se reconnissait dans mes écrits qui retraçaient des évènements du quotidien ou des situations émouvantes. J'ai écrit des histoires sur le terrorisme. Malgré le risque, inconsciemment, l'écriture d'urgence, s'était imposée. Lorsque les lecteurs m'écrivent actuellement ou lorsqu'ils me rencontrent, ils me rappellent que j'avais mis des mots sur leurs ressentis les plus intimes, sur leur mal-être, sur des drames et des passions qu'ils ont vécus.

Puis vous avez décidé de réunir quelques-unes de vos nouvelles dans un premier recueil. À l'époque, comment s'était effectué le choix des textes à y inclure?
Le choix s'est imposé tout naturellement en retenant celles qui avaient eu des retours très positifs et dont les thèmes étaient cruciaux. Le premier recueil compte cinq nouvelles tirées de faits réels: «Souvenirs» une mère privée de son enfant - victime du terrorisme «Le vieil homme et la belle», «Ferroudja» une jeune fille enlevée par un groupe armé puis libérée. Publié en 2002 par Saec Liberté, ce recueil a reçu un bel accueil. Ont suivi «À l'ombre de tes yeux» sur le harcèlement dans le monde du travail et «Le souffle du bonheur» l'histoire d'un couple stérile, contraint à se séparer, publié en 2009 par les Éditions Alpha Design, puis «Le mur du silence» un recueil traduit vers l'arabe par Yacine Kalouche en 2011. Les drames familiaux, les passions contrariées, les divorces, les enfants livrés à eux-mêmes, la stérilité, les difficultés à adopter, les victimes de la pression familiale, les victimes du terrorisme, les enfants du peuple... sont des thèmes sociétaux malheureusement universels.

La femme occupe une place prépondérante dans vos livres, pourquoi?
La femme est le coeur de la société. L'histoire du pays s'est faite avec elle. Les histoires, les contes ont traversé les époques, les langues dialectales sauvées de l'oubli par ce qu'elle transmettait. La femme a contribué et s'est battue au même titre que ses frères. Lorsque l'homme travaillait à l'étranger, elle assumait le rôle de père et de mère. Si elle s'épanouit, la société le sera aussi. Comme le disait le directeur adjoint à l'Unesco, M. Xing Qu: «Une femme éduquée change la vie de trois générations». Elle est l'incarnation de la force infaillible. Nous ne parlerons jamais assez d'elle et de son apport, au sein de sa famille, ou dans la société. Nos aînées sans instruction, sans moyen, ont donné le meilleur d'elles-mêmes. Nous essayons d'en faire autant. À onze ans, je savais que je voulais être écrivaine. 42 ans après, 29 années au service de la presse - Liberté et Le Soir d'Algérie - sans citer quelques contributions dans d'autres organes, je ne peux me résoudre à poser ma plume. L'écrivaine Elif Chafak dans «Lait noir» parle bien de cette muse, avec ses voix intérieures qui ne nous laissent pas dormir, qui n'en a jamais assez de voler de notre temps et de notre attention. Certes, on est femme, parfois mère avant d'être écrivaine mais lorsque la muse vient tout chambouler, ces deux statuts sont vite oubliés. Ma passion est ma raison d'être...

Parlez-nous de votre dernier livre «Plus jamais» paru aux éditions «Talsa»?
Il était impératif pour moi d'attirer l'attention sur ce fléau qui a meurtri des familles, surtout entre 2020 et 2022 même si ces violences ont toujours existé. Préfacée par Nadia Sebkhi, directrice de la revue littéraire «Livrescque», prêt en 2022, il a été envoyé à deux éditeurs. L'un d'eux avait refusé, le second n'avait même pas pris la peine de répondre. Il a pourtant publié sur ce thème lors du Sila 2023. Pour rappel, ce n'est pas la première fois que j'aborde ce sujet (Dans mes anciennes chroniques, vous pourrez en trouver) et je ne suis pas la seule. D'autres auteures l'ont fait avant moi. En 2006, Djamila Lounis Belhadj avait publié un recueil de 22 nouvelles où elle avait exploité tous les aspects de la condition de la femme en Algérie. Il y a aussi «Combats de Femmes» de Ouarda Akif. La femme - algérienne ou autre car le fléau est mondial - reste debout malgré les cicatrices témoins de ses combats. La femme que je suis, l'écrivaine observatrice d'une époque, pose ses mots pour dire «Stop» au mépris, à l'humiliation, l'injustice!

Est-ce qu'il y a une part d'autobiographie dans vos textes?
En 2022, l'éditeur Madani Guermouche - Éditions Aframed - a publié un de mes récits autobiographiques «Beauvais, Sur les traces de mon enfance» dans lequel je rends hommage à ma famille, en évoquant notre histoire sur les deux rives. L'éditeur avait fait une double lecture et s'était souvenu qu'une génération avait été sacrifiée lorsque l'État français avait proposé aux ressortissants de onze pays, une aide financière, pour retourner dans leur pays d'origine. Plus de 11000 familles algériennes étaient rentrées au moment même où l'État algérien arabisait l'école. Près de 6000 enfants ont rencontré des difficultés à s'adapter, beaucoup ont renoncé pour diverses raisons. Cette décision a gâché bien des vies. Ces jeunes ne se sont pas adaptés ici et n'avaient plus leur place là-bas. J'ai abandonné mes études mais jamais je n'ai renoncé à mon rêve de partager ma passion et de devenir auteure. «L'espoir au-delà des Maux» parle de mon combat contre la maladie et des Amazones. Louanges à Dieu, nous sommes encore là et nos témoignages rappellent que le dépistage sauve des vies et que le combat pour celles et ceux qui l'affrontent, en vaut la peine.

Avec les moyens de communication modernes, l'écrivain est en contact direct avec ses lecteurs. Parlez-nous de votre expérience dans ce domaine...
Les lecteurs et lectrices m'ont toujours écrit suite à la lecture d'un récit qui les a bouleversés, d'abord par courrier puis par mail. Le journal Liberté en ligne, publiait les réactions à chaud. Un lien s'est tissé entre eux et moi, si bien que lorsqu'ils découvrent les récents ouvrages en librairie, ils m'écrivent pour partager leur bonheur de les avoir acquis et me remercient pour toutes ces années où au petit matin, ils se faisaient plaisir en achetant le journal juste pour découvrir mes chroniques ou la suite des nouvelles. Ils appréciaient mon style d'écriture et m'ont avoué avoir cessé toute activité car tenus en haleine jusqu'au mot fin. Mon bonheur est double lorsque les lecteurs viennent me parler d'une histoire lue, il y a vingt ans et même parfois, celles de mes débuts et les réclament en livres!

Quel est le livre que vous rêvez d'écrire un jour?
Actuellement, je finalise la suite de «Beauvais, sur les traces de mon enfance» en parlant de cette muse qui s'est finalement révélée alors que j'étais au collège Michelet. En parallèle, d'autres ouvrages sont prêts qui je l'espère verront le jour et feront le bonheur des lecteurs et lectrices. Récemment, une fillette de huit ans s'est rapprochée de moi, pour l'aider dans la rédaction de ses histoires. Elle rejoindra certainement la nouvelle vague d'auteures algériennes qui ne cessent de s'agrandir et de nous ravir avec leurs écrits dans toutes les langues. Sans culture, un pays se meurt. Veillons à ce qu'elle s'enracine et donne le meilleur aux enfants du pays et dans le monde.

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