EL MORJANE DE SOFIANE SAIDI
Le rai roots chic!
Entre des plages de sonorités, pop rock alternatif et raï electro, l'artiste nous fait bercer par sa voix chaleureuse dans les méandres d'une aire des anciennes comédies musicales égyptiennes si ce n'est par le son des vagues elles -mêmes. Pour remuer davantage nos bleus à l'âme...
El Morjane est le nom de l' album de l'artiste algérien vivant en France Sofiane Saidi. Un opus qui flaire le bon son roots, hybride, flanqué de superbes arrangements in. Un son hybride résultat des nombreuses influences de l'artiste qui allie avec brio les sons traditionnels bien de chez lui aux rythmes bien actuels. Et pour cause cet album enregistré entre Paris, Londres, Brest et Sidi Bel Abbès SVP, est un vrai opus ovni qui mêle différentes sonorités, signe d'un travail de recherche avéré par cet infatigable artiste Sofiane Saidi qui n'a de cesse de composer chez lui tout en multipliant inlassablement les concerts un peu partout. Mais très peu dans son pays natal? Pourquoi? La question reste posée. Dérange-t-il? Qu'on se le dise, Sofiane Saidi n'est pas de ceux qui suivent la tendance et courent après le bon contrat qui fera de lui en un temps record une star comme tous ces artistes kleenex qui ont pollué ces derniers temps le marché du disque. Sofiane Saidi nous avouera d'ailleurs un jour avoir refusé de signer chez un grand label qui voulait à tout prix avoir la mainmise sur son tout, jusqu'à contrôler son image, chose que l'artiste a refusé catégoriquement préférant la liberté à la fausse notoriété. C'est que Sofiane Saidi est une nébuleuse à part dans le monde de l'industrie musicale underground. Et pourtant, ne faisant pas les choses à moitié l'artiste prend le temps de bien fignoler son disque, tout en s'entourant d'excellents, musiciens voire de renommée. Coréalisé par Sofiane Saidi, Jean-Baptise Ferre et le célèbre Tim Whelan. L'on se demande vraiment pourquoi cet album ne trouve pas encore de diffuseur en Algérie. Lamentable et incompréhensible. Mais passons. El Morjane, donc, le titre de son premier album se veut, comme c'est indiqué à l'intérieur de la couverture du CD «une métaphore des choses précieuses et rares de la vie, ces chansons racontent à la manière des comédies musicales égyptiennes, les joies et les tourments de leurs héros». En effet, à l'écoute de tous ces morceaux, il y a ce leitmotiv qui revient souvent. Celui de la vie que l'artiste se plaît à mordre à pleines dents, bercé entre amour et illusion. L'intro du disque est Al Jazair l'île. Une sorte d'interlude marqué d'une ambiance rue de Sidi Bel Abbès, terreau du raï et ville de son enfance, auquel il rend hommage mais il ne tarde jamais à y retourner pour revoir la famille, et les amis et enfin se baigner dans sa mer... Un «istikhbar» style égyptien electro n'est pas loin. «Kifach bnadem» est une chanson mélancolique au relent existentiel.
A la manière d'un Ahmed Wahbi dans les complaintes, le voilà qui glisse des vers mais à incantations rythmiques bien contemporaines. Synthé et piano rajouteront leur sauce jazzy au tempo. Voilà que nous atterrissons dans ce sublisimme tube qui donnera assurément le tournis à vos cheveux... «Gasba yal moul taxi». Morceau phare de l'album qui a fait l'objet d'un clip réalisé par Anaël Dang qui a bien compris l'esprit à la fois déroutant et disjoncté de l'artiste, tout en accaparant ce qu'il y a de plus sensuel pour le magnifier dans une esthétique qui rompt totalement avec les classiques soporifiques de clips algériens. Version algérienne du morceau controversé Smack my bitch up du groupe électro Prodigy, pourtant c'est le genre bedoui qui ouvre le bal ou quand le folklore fusionne avec le son pop électro donnant à écouter un mélange explosif de son bien entraînant. Un raï roots très in à la cheikha Rimiti. Une chanson et ce clip donc, qui se fond dans cette musique quasi psychédélique qui fait voyager l'esprit comme cette ligne de cocaïne que le personnage snife au début du clip. Et lui fait accélérer sans doute l'imaginaire entre road movie dans la ville, des aventures burlesques et extravagantes entrecoupées de réminiscences romantiques avec sa bien-aimée. D'ailleurs, on ne peut ici deviner si ce qui est montré reflète le présent ou le passé, tant les images s'entrechoquent avec frénésie, signe peut-être du pic provoqué par l'effet de la drogue et autre alcool... Belle virée en tout cas dans les interstices de son univers onirique du personnage, même si glauque, qui nous fait découvrir et dévoiler ses pérégrinations nocturnes comme autant de phantasmes éveillés. Entre lumière blafarde ou tamisée, on est comme plongé dans un monde flou, pas très net de cet homme qui semble perdu entre ses rêveries et vraisemblablement regrets aussi. Un son groove intempestif sur une voix caverneuse mais un appel à la joie malgré tout entraîne à pousser son râle jusqu'à l'épuisement et c'est ce qui fait la force de ce titre. Kalimate est interprété en duo avec une voix féminine. Il s'agit de Natasha Atlas avec laquelle l'artiste a plusieurs fois collaboré.
Dans un genre tarab rehaussé de la voix mi-rauque, mi-mélodieuse, Sofiane Saidi s'essaye avec délice aux accents veloutés des cabarets nocturnes de Oum el dounia. Al jazair black out est introduit par un extrait du discours de Houari Boumediene à l'ONU, avril 1974. L'artiste chante l'Algérie glorieuse et forte, mais aussi celle des lendemains qui déchantent. Un titre fort saupoudré de son de malouf extrait du concert de cheikh Raymond, clin d'oeil à son assassinat. Le groove fait sonner batterie aussi. Un mix de sons dont seul l'artiste détient le secret. Le son des vagues clôt le morceau laissant l'imaginaire de l'auditeur encore en méditation. Mektoub est quant à elle chanson sur l'amour contrarié. Encore avec ces accents d'Abdelwahab.
Une certaine nostalgie d'une époque révolue qui ne reviendra pas se fait, sentir. Bahr el wsaya fait entendre une tonalité gnawie, suivie de flow de guitare, mais de son électro toujours. S'insinue un rythme jazzy que vient rajouter les bleus du piano. Une chanson sur les injustices et les non-promesses faites par les Etats. Encore un discours de Boumedienne croit-on qu'on entend affirmant qu' «il est temps que chacun assume ses responsabilités»... Puis arrive cette fameuse reprise de Samir El Halali, Taâli. Une bluette sentimentale à la fois mielleuse et surannée rehaussée de la voix décalée et chaude de Sofiane saâdi. Après Kirani, l'album se referme sur le titre El Morjane. Une ballade qui surfe sur des notes romantiques entre piano et la gasba. Un morceau qui sonne comme un appel à la délivrance et file comme une ultime caresse sur la peau. Une belle façon de clore cet album tout en douceur saupoudré de senteur d'Orient, mais de rock alternatif incontestablement.