FADELA M’RABET A L’EXPRESSION
«Les algériennes sont admirables»
L’auteur nous parle ici de son dernier livre, Une enfance singulière, paru chez Balland et nous dresse un état des lieux de la condition des algériennes...
L´Expression: La femme est souvent le moteur central de vos romans. Elle devient presque un sujet obsessionnel à travers vos oeuvres. Qu´en pensez-vous?Fadéla M´Rabet: Obsession, non. Mon 1er livre, La Femme algérienne, je l´ai fait à la suite du courrier que je recevais des auditeurs, des jeunes filles en particulier, qui m´appelaient à leur secours parce qu´elles étaient retirées de l´école pour être voilées et mariées de force. On m´appelait jusque dans les hôpitaux parce qu´elles refusaient justement cela et intentaient à leur vie. Et si je n´avais pas fait ce livre pour dénoncer cette condition absolument tragique, je me serai sentie coupable de non-assistance à personne en danger. Mon livre ne contenant pas de chiffres, j´ai dû en faire un autre qui s´appelle Les Algériennes où je donnais tous les chiffres dans tous les domaines. Certes, je dénonçais, la condition de la femme mais aussi l´absence de démocratie car l´Algérie n´était pas réellement socialiste. C´est la raison pour laquelle d´ailleurs cela a provoqué la fureur du pouvoir parce que je disais que l´Algérie contrairement à ce qu´on avançait, n´était pas véritablement un pays socialiste mais plutôt régi par un capitalisme d´Etat.
Justement, pour avoir dénoncé tout cela, vous êtes après l´indépendance interdite d´antenne, vos ouvrages sont interdits en Algérie. Aujourd´hui, vous revenez pour signer votre dernier roman. Quel regard portez-vous sur ce passé tout aussi singulier?C´est une grande joie d´être reconnue parmi les miens. Une joie d´autant plus grande qu´être reconnue par les siens est rare. Je me réjouis de l´événement sans aucun ressentiment. Evidemment, il ne faut pas oublier le passé. Ce qui m´intéresse aujourd´hui, c´est le présent et l´avenir.
Etes-vous d´accord avec le terme «féminine» qu´on colle souvent, à tort ou à raison, à la littérature d´auteurs féminins?Pour moi, il n´y a pas de littérature féminine et de littérature masculine. Quand la parole et vraie, elle est universelle. C´est la parole d´un être humain. C´est comme quand on nous dit qu´il y a une spécificité de la femme algérienne. Celle-ci est diverse, variée. Il y a diverses catégories d´Algériennes comme de Françaises. Dire que la femme algérienne a une spécificité, cela voudrait dire qu´elle a une substance particulière, qu´elle a une essence. Prenez, par exemple, mon livre Une enfance singulière, qui est le récit d´une enfance donc d´une petite fille algérienne dans un milieu arabo-islamique. Eh bien, cette enfance-là, des Françaises, des Allemandes, des Russes, des Italiennes s´y sont reconnues parce que justement, tout ce que j´ai dit est vrai. C´est une parole donc universelle. Une Allemande, par exemple, de très haut niveau intellectuel, de la grande bourgeoisie de Frankfurt, fille unique, m´a dit être étonnée de retrouver ses sentiments dans mon livre. Moi qui aie vécu dans une grande famille. Une maison ouverte sur la ville. Il y avait au moins 20 personnes avec en plus, des voisins, des amis qui s´installaient à la maison... Alors, parler de la femme algérienne, c´est-à-dire qu´elle est d´une essence particulière, c´est complètement faux. D´abord, on se définit par son milieu, par sa géographie, sa situation économique, par sa culture... Or, dire «la femme algérienne», cela la réduit à un prototype, à un modèle. Ce qui m´émeut beaucoup dans les congrès internationaux où je suis invitée, ce sont les questions des beurettes par exemple. Quand elles me disent: «Madame, comment dois-je me comporter: comme une Algérienne ou comme une Française?». Je leur réponds toujours : «Comportez-vous en votre âme et conscience. Il ne faut pas vous déterminer en fonction d´un modèle. Ce n´est que comme cela que vous pourrez nous donner une femme nouvelle qui enrichira l´Algérie et l´humanité. Qu´est-ce que c´est une femme algérienne?Cela n´existe pas!»
Fadéla M´Rabet, femme battante qui s´est battue pour les droits de la femme depuis toujours et on connaît son parcours. Pensez-vous qu´aujourd´hui, qu´il y a eu un véritable changement dans ce sens?Oui, il y a eu des changements. Je viens de voir Khalida Toumi, ministre de la Culture et de la Communication. Je sais qu´il y a une femme, une Algérienne qui est présidente du Conseil constitutionnel. Beaucoup de sont présentes dans tous les domaines et à tous les niveaux. Elles sont admirables par leur dynamisme, leur intelligence, leur culture et par leur courage. Elles ont eu des attitudes héroïques. Je pense que la situation de la femme ne pourra vraiment changer que lorsqu´elle aura un code de la famille digne d´elle.
Je vous donne un exemple qui nous donne, à la fois beaucoup d´espoir et qui nous plonge dans une tristesse infinie. Il y a un écrivain algérien qui a vu, une nuit, sur un trottoir d´Alger, une petite fille qui faisait ses devoirs à la lumière d´une lampe électrique, à côté de sa mère. C´est triste, on a envie de pleurer.
Et je me dis que cette femme a été peut-être jetée dans la rue à la suite d´une répudiation unilatérale. Il y a beaucoup de SDF à cause de cette répudiation-là. D´un autre côté, cette petite fille qui, contre vents et marées, continue à faire ses devoirs, nous montre que l´Algérie a quand même un avenir. Cette petite fille sera peut-être plus tard, une Taha Hussein ou, une Dostoïevski algérienne. C´est la raison pour laquelle j´ai beaucoup d´espoir pour l´Algérie.
Quelles sont les motivations qui vous ont poussé à écrire ce livre?Ce livre, je l´ai écrit pour les Français et les Algériens. Pour les Français afin de changer l´image de l´Algérie dans leur esprit. En effet, il y en a beaucoup qui m´ont dit qu´ils croyaient connaître l´Algérie et qui se sont rendu compte après avoir lu mon livre qu´ils ne la connaissaientpas réellement et qu´ils étaient très contents. Ils me disent même qu´ils m´envient d´avoir une famille comme la mienne.. Je l´ai écrit également et évidemment pour les Algériens parce que tout Algérien va retrouver son enfance dans la mienne. Ce livre répond à ces jeunes filles qui, dans les congrès me demandaient comment se comporter.
Aujourd´hui, j´ai écrit ce livre pour que le monde de mon enfance ne meurt pas, parce que j´ai vécu dans un milieu peuplé d´hommes et de absolument magnifiques. Je voulais que ce monde laisse une trace car il est amené petit à petit à disparaître. Je me suis dis qu´il resterait toujours un livre à la bibliothèque d´Alger, de Paris ou de Rabat, puisque j´ai trouvé mes premiers livres dans des bibliothèques universitaires des Etats-Unis, d´Espagne et d´Italie...Aussi, parce que pour moi, la mort est inacceptable, aussi bien celle des êtres que celle des peuples.
Un dernier mot?Il faut que les morts cessent de faire la loi aux vivants.
Quand on nous dit qu´il ne faut pas prendre comme exemple le modèle occidental parce qu´il faut respecter nos valeurs arabo-islamiques, sans les préciser, on aimerait bien qu´on nous précise ce que sont ces valeurs arabo-islamiques.
Il faudrait les analyser et les recenser. Et justement, est-ce que la répudiation unilatérale est une valeur? Est-ce une valeur de jeter les sur le trottoir? La polygamie est-elle une valeur? On veut nous figer dans le passé. On se sert de la religion pour figer la société. En réalité, ils veulent nous empêcher d´accéder à la démocratie.
L´Islam n´est qu´un prétexte pour nous figer dans le passé. Quand ils parlent de retour aux sources, en réalité, ils veulent protéger leur source de revenus, c´est-à-dire leurs intérêts.
Si les valeurs arabo-islamiques étaient, en effet, pendant la guerre de Libération, une assurance contre la mort, une sorte de protection, actuellement, elles sont un obstacle à la vie, véritablement.