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Nadjib Stambouli, écrivain, à L'Expression

«Tahar Djaout est un éternel repère»

Nadjib Stambouli est l'un des plus anciens et talentueux journalistes algériens ayant exercé au prestigieux Algérie Actualité dans les années quatre-vingt. Il faisait partie de l'équipe de l'hebdomadaire Rupture, lancé par Tahar Djaout, entre autres. Il est l'auteur des romans: «Le mauvais génie», «Le comédien», «La rancune», «Le fils à maman», parus aux éditions Casbah. Il est également l'auteur des recueils «Impact» et «Ma piste aux étoiles». Dans cette interview, il nous parle de son dernier roman «Juste une gifle» (Koukou éditions) et de... Tahar Djaout.

L'Expression: Un roman sur la violence conjugale, qu'est-ce qui peut pousser l'écrivain et le journaliste chevronné que vous êtes à se pencher sur un tel sujet?
Nadjib Stambouli: D'abord, le journaliste et l'écrivain mènent une coexistence très pacifique dans la même personne, sans autre source de conflit que celle du facteur temps. Je suis porté et sensible aux thèmes sociaux. Dans ce volet, il est évident que je ne choisis pas le versant rose. Ce n'est pas aux louanges que je carbure et si l'écrivain penchait uniquement vers le vernis ou l'embellissement, il serait, je crois, mieux avisé de changer de vocation. La violence conjugale et, plus généralement, faite aux femmes, est une tare, un fléau même, qui me tient à coeur. Je suis heureux de l'avoir abordé. Et surtout fier de l'avoir fait en me mettant dans la peau d'une femme qui se raconte en dévoilant au fur et à mesure ses souffrances et ses tiraillements.

«Juste une gifle», le titre de votre roman, est énigmatique, pouvez-vous nous en dire plus?
Ce titre, à mon avis, concentre toute la problématique de la violence conjugale, qui commence par un coup, condamnable en soi, mais qui pourrait sembler anodin et être rangé au placard aux oubliettes. L'évènement, dans le roman comme dans la vraie vie, aurait pu s'arrêter, à «Juste une gifle», s'il ne cachait le top-départ d'un long processus conflictuel, à la fois physique et moral, où alternent les coups puis les demandes de pardon, l'attitude brutale du mari violent et les phases de conciliation. La victime hésite et réprime sa pulsion de révolte et le coupable multiplie les gestes pour l'amadouer, tout en continuant, selon un schéma somme classique, à isoler sa proie et en accentuant son emprise sur elle. Il y réussit, jusqu'au jour où la torture de trop fait déborder le vase.

Dans votre roman, il s'agit d'un couple d'intellectuels, ce mal n'épargne donc aucune couche sociale?
Aucune couche sociale n'est épargnée par la tragédie, c'en est une, de la violence conjugale. Ni ici, ni ailleurs, sous des cieux censés être plus cléments et moins oppressants pour la femme. Cogner sur son épouse ou sa compagne, avec des prétextes parfois futiles en guise de raison, est l'un des fléaux les mieux partagés de par le monde. Que dans ce roman ce soit un couple d'intellectuels, ne fait qu'aggraver le cas du mari violent, instruit, cultivé, moderne, ouvert, et même prônant dans une conférence à l'université des idées d'émancipation de la femme, discours qu'il clôt par un retour de son naturel chassé par sa démagogie.

Quel est le message que vous voudriez transmettre à travers ce roman?
Je ne suis pas un donneur de leçons, je me suis toujours gardé de cette tentation. J'espère par contre qu'il touche les lecteurs pour qu'on se rende compte que frapper sa femme est un geste lâche, qui n'est pas moins vil et dégradant que frapper sa propre mère, suprême sacrilège. Mon souhait c'est que ce livre contribue, faute de la supprimer, à atténuer l'omerta qui frappe la violence conjugale. Le drame dans le drame, c'est le silence des femmes victimes, qui se murent dans le mutisme au lieu de dénoncer ce qu'elles endurent ou de porter plainte. Attention, il ne faut pas leur en vouloir et rendre la victime coupable. Elles se taisent sous la pression de la famille, par crainte d'un divorce synonyme de chute dans la misère, surtout si elles ont des enfants et qu'elles sont dépendantes financièrement. Tous ces facteurs sont un terreau fertile pour l'impunité. C'est cet engrenage, ce cycle infernal généré par le mutisme des malheureuses victimes, que j'espère voir brisé un jour. Sans me faire trop d'illusions, je serai très heureux si ce roman pouvait y ajouter un jalon, un peu comme le colibri qui estime qu'il prend sa part dans l'extinction de l'incendie. Je compte sur le bouche-à-oreille pour une prise de conscience sur ce mal terrible qu'est la violence faite aux femmes, et cela passe par la libération de la parole des pauvres victimes. Qu'elles sachent que leur silence est un gage d'impunité et même d'encouragement au compagnon violent. À défaut de dénoncer publiquement ou devant la justice, elles peuvent se confier à des proches qui les aideront à surmonter la douleur morale et pourquoi pas, à réagir. Chaque cas est particulier, il n'y a pas de recette collective, hormis une idée-force, ne pas souffrir en silence.

Peut-on avoir une idée des échos obtenus après la publication de «Juste une gifle»?
Ce sont des retours de lecture très réconfortants que je reçois, que ce soit dans mes contacts directs avec le lectorat lors des séances dédicaces ou par les lectures critiques dans les médias. Il faut dire qu'il n'y a pas que les femmes qui sont en train de réserver un accueil chaleureux à «Juste une gifle», pour le style, la manière d'édifier la trame et surtout pour le fait d'aborder un sujet sensible, qui concerne, à des degrés divers, beaucoup plus de familles algériennes qu'on ne le pense. Les réactions me font sentir que j'ai brisé un tabou. Je suis d'ailleurs le premier étonné de ce que ce thème n'ait pas déjà été abordé par d'autres auteurs, avant «Juste une gifle». Globalement, les réactions se multiplient, il y a un effet boule de neige, le livre se fait connaître à un rythme exponentiel. Il va de soi que j'attends d'un tel roman moins de l'admiration pour sa qualité littéraire qu'un impact de sensibilisation sur un fléau qui fait honte à tous, sauf à ceux qui sont fiers de leur lâcheté, celle de lever la main sur une femme.

Vous avez, en quelque sorte, tardé pour passer du journalisme au roman, quel en a été le déclic?
Ecrire en qualité de journaliste m'a permis durant des décennies d'assouvir mon besoin, ma soif d'expression par la plume, qui est en moi depuis la prime enfance. En d'autres termes, devenir écrivain est un rêve d'enfant, qui a fini par se réaliser, par mon entrée dans le monde de l'édition, d'abord par des recueils de chroniques (Impacts), puis d'hommages (Ma piste aux étoiles) enfin de romans. Ce n'est pas à moi de dénicher la présence du journaliste dans l'oeuvre de l'écrivain, mais je sais que le premier aide le second dans le rythme d'écriture et la discipline qu'elle impose, au quotidien, jusqu'à la sortie du livre de l'imprimerie. Oui, j'ai tardé, j'aurai pu commencer à publier plus tôt mais les circonstances de la vie, et celles de l'Algérie, en ont décidé autrement. Je me cramponne au bon vieux dicton «il n'est jamais trop tard pour bien faire». Par contre, j'évite la tentation de mettre les bouchées doubles, pour rattraper le temps perdu, ce qui serait illusoire et surtout contre-productif sur le plan purement littéraire.

Pouvez-vous nous dire comment vivez-vous votre nouveau «statut» d'écrivain après avoir été pendant très longtemps journaliste, chroniqueur et éditorialiste?
D'abord, je n'ai pas quitté mon métier de journaliste, je suis directeur de publication du quotidien Le jour d'Algérie. Journaliste et écrivain sont deux domaines à la fois très proches et nombre de différences les séparent. Sous ma casquette de journaliste, je suis tenu au devoir d'informer et de me soumettre au devoir d'être abordable dans un style, sans tomber dans la facilité, accessible au maximum de lecteurs. Si le style est apprécié par le lecteur, c'est tant mieux mais le lecteur achète son journal d'abord pour s'informer. En qualité d'écrivain, l'exigence d'information est évacuée au profit d'autres besoins à satisfaire chez le lecteur, dans lesquels intervient le style comme élément déterminant pour l'accrocher dans la trame, à saupoudrer d'évènements qui puissent maintenir en alerte l'attention et la curiosité jusqu'à l'épilogue. Sur le plan pratique, je m'organise et agence mon emploi du temps en conséquence de ces deux métiers, pour diminuer au mieux l'empiètement de l'un sur l'autre. Si j'avais à comparer mon ressenti sur ces deux vocations, le métier de journaliste m'a fourni et me fournit encore beaucoup de satisfactions mais sans conteste le rapport avec le lectorat, en tant qu'écrivain, me hisse moralement et me procure beaucoup de bonheur.

Vous êtes d'une certaine manière indissociable du nom du regretté Tahar Djaout, pouvez-vous nous raconter votre première rencontre avec lui?
Tahar Djaout est pour moi un éternel repère. Dès mon arrivée à la rubrique culturelle d'Algérie Actualité, en 1982, il m'a invité à prendre un café et depuis, on s'est lié d'amitié. C'est un modèle sur le plan humain, avec ses qualités de droiture, d'intégrité morale sans faille, de sympathie et de gentillesse. Au niveau intellectuel, ses convictions, toujours exprimées avec calme, forcent l'admiration. Sur le plan professionnel, c'est un journaliste sérieux et rigoureux, qui attache une grande importance au moindre mot ou à la plus anodine ponctuation, sans parler de son strict respect des règles éthiques. Très avenant, il est d'un contact humain très facile, parle d'une manière douce et posée, avec un côté aérien, un peu présent dans l'absence.
D'ailleurs, c'est son portrait-hommage qui a été le premier, donc le déclic, pour toute la série de «Ma piste aux étoiles». C'est l'un des rares êtres humains pour lequel j'utilise sans craindre d'être dans l'exagération, le qualifiant de «parfait». On s'est retrouvé à Ruptures, une aventure tragiquement et lâchement achevée par les terroristes intégristes. On peut remarquer que pour Djaout l'immortel, je n'use pas du passé...

Peut-on savoir de quoi parlera votre prochain roman?
Ce n'est pas un, mais deux romans, qui sont prêts. Je ne vais pas jouer au détenteur d'un secret ultraconfidentiel pour dévoiler les thèmes. L'un est sur le quotidien d'un père de famille, l'autre se devine par le titre, même provisoire «La footballeuse».

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