IL Y A 18 ANS NOUS QUITTAIT RACHID MIMOUNI
Un écrivain à ressusciter
La littérature algérienne est riche de noms qui ont marqué la scène littéraire internationale par leurs oeuvres, mais qui demeurent, hélas, méconnus dans leur propre pays, de leurs propres enfants. Rachid Mimouni fait partie de ceux-là.
Né dans le petit village de Abla, à Boudouaou, le 20 novembre 1945, Rachid Mimouni est issu d´une famille très modeste dont le père, analphabète, a tenu à ce que son fils aille à l´école et poursuive des études pour qu´il n´ait pas à subir les affres de la pauvreté et du travail manuel comme c´était le cas pour lui. Il obtient une licence en chimie et enseigne dans une école de commerce à Alger. Mais l´envie d´écrire était chez lui plus forte que tout.
Même s´il a tardé à publier un ouvrage, Rachid a connu très tôt l´amour de la lecture, puis l´envie d´écriture: «Je pense que cela devait être vers la 4e. Cela a correspondu au fait qu´à ce moment- là, je commençais à maîtriser un peu la langue française, auparavant je parlais arabe. Grâce à l´enseignement, j´ai pu accéder à la littérature. et c´est là que j´ai commencé à lire les grands classiques de la littérature française et universelle. Cette envie est née comme ça, parce que dès le début j´adorais la littérature... Et j´ai continué à le faire.»
Dans son premier roman Le printemps n´en sera que plus beau (1978), publié en Algérie, il raconte l´amour et la mort d´une manière forte et singulière. L´histoire se situe à la veille du déclenchement de la guerre d´Algérie, guerre qu´il a vécue très jeune, à laquelle il n´a certes pas participé, mais qui restera ancrée dans sa mémoire, et enfouie au plus profond de lui-même, et qui lui servira plus tard comme repère dans son oeuvre littéraire toute entière.
Dans Une paix à vivre, paru en 1983, il évoque surtout l´euphorie que vécut l´Algérie au lendemain de l´Indépendance, en mettant l´accent sur ce paysan, fier et bien habillé, qui accompagnait son fils à l´école, une belle image d´un père décédé, qui a beaucoup fait et dont le manque se faisait sentir.
Ensuite, succédèrent des succès publiés en France et dans lesquels on sentait l´écrivain changer de ton et l´écriture devenir plus dénonciatrice.
Avec Le Fleuve détourné (1982), puis Tombéza (1984), Rachid Mimouni s´emploie à exprimer le vécu et le quotidien du peuple en disant tout haut et en écrivant noir sur blanc ce qu´il subissait en silence, sans oser le dénoncer par peur du «pouvoir» et de la «dictature».
Convaincu par la mission de «l´intellectuel comme éveilleur de conscience, comme dépositaire des impératifs humains, comme guetteur vigilant prêt à dénoncer les dangers qui menacent la société», Mimouni n´a pas cessé de revendiquer la légitimité du droit, de la justice et de la dignité pour tous.
Il refusait toutes les injustices, dénonçait tous les régimes régis par la dictature et se révoltait contre tous les abus du pouvoir.
Sur ce thème du pouvoir, il disait justement: «Ce thème du pouvoir est très présent dans mes écrits, parce que j´estime - et la dictature le dit à un moment donné -, le pouvoir est une maladie. C´est quelque chose qu´il faut essayer de réduire à sa plus simple expression. Moins les gens détiennent le pouvoir, mieux c´est pour les citoyens.»
Et de continuer sur ce même thème: «Je considère, c´est une conviction à moi, que le pouvoir est un mal, et qu´il faut mettre en place des systèmes - un pouvoir démocratique - et à l´intérieur même d´un pouvoir démocratique, partager le pouvoir, ne pas le laisser aux mains d´une seule personne ou d´un groupe de personnes. Je crois que plus il y a de centres de pouvoirs autonomes les uns par rapport aux autres, mieux la démocratie se porte.»
N´était-il pas juste et visionnaire dans cette analyse? Les faits sont là aujourd´hui pour dire et confirmer cette réalité.
Pour revenir à l´écrivain qu´il était, triste fut le jour de son exil forcé. Dans une atmosphère hostile aux intellectuels et face à une insécurité qui devenait oppressante, l´écrivain dut se résigner à partir et à quitter l´Algérie, lui qui disait: «Si je quitte l´Algérie, je perds mes sources de vie, je ne pourrai plus écrire.» Il dut le faire en 1993 et alla s´installer au Maroc. Il ne reviendra à son pays natal que pour y être enterré, le 12 février 1995.
Certains de ses romans ont été traduits en arabe (Tombéza, L´Honneur de la tribu), en anglais (La Ceinture de l´ogresse), deux ont été adaptés au cinéma (Le Fleuve détourné, signé Okacha Touita et L´Honneur de la tribu, adapté et réalisé par Mahmoud Zemmouri), mais beaucoup reste à dire sur cet écrivain: il anima des émissions radiophoniques, reçut des prix, participa à des colloques, écrivit d´autres livres, dénonça beaucoup d´injustices, s´exprima par la plume... une plume que les enfants d´aujourd´hui doivent connaître, des écrits que nos manuels scolaires doivent véhiculer, pour que vive une démocratie d´aujourd´hui, grandement due à une littérature d´hier qu´on continuera à véhiculer aujourd´hui et demain...