Des «liens quasi charnels...»
Rapprochement entre l´Algérie et la France, le mot a été lâché à Alger avant-hier soir par le président de la République française en personne. M.Jacques Chirac a certainement répondu ici à tous les cassandres de France et de Navarre y compris aux observateurs dont les déontologies préfabriquées ne valent que pour les pays surdéveloppés. Quarante ans ont passé. Et voilà que le gaullisme qu´on avait cru un moment remisé pour toujours au panthéon des grands mouvements de l´histoire contemporaine, revient au zénith de la compréhension réciproque, pour mettre fin à la cyclothymie relationnelle qui a caractérisé depuis l´indépendance les relations algéro-françaises. Désormais ce ne sera plus le cas puisque les «liens quasi charnels qui unissent l´Algérie à la France sont bien vivants». Paroles bienfaisantes, inimaginables il y a quelque temps, paroles chargées d´émotion tandis que leur profondeur de sens n´admet aucune nuance, fût-elle encore plus superlative.
Chirac a prononcé cette phrase en tant que président de tous les Français, un président conscient que tous les mots comptent, mais ne font pas obligatoirement recette même quand on leur prête, comme cette fois, une forte dose de sincérité. C´était le cas hier du chef de file du parti (gaulliste) qui, qu´on le veuille ou non, nous rappelle que si la guerre d´Algérie a pu quand même prendre fin en mars 1962 c´est, au-delà des combats et des sacrifices consentis de part et d´autre, que les accords d´Evian n´ont connu une juste issue pour les deux parties en présence, que grâce d´un côté au Gpra et de l´autre à la délégation de plénipotentiaires français représentant la volonté du général de Gaulle.
Les négociateurs algériens à Evian n´ont pas eu en face d´eux des socialistes mais des gaullistes. Les socialistes s´étant déjà illustrés, pour ne pas dire compromis durant la première phase du conflit après avoir installé la guerre grâce à un Jacques Soustelle, alors gouverneur général de l´Algérie, obéissant au doigt et à l´oeil à Guy Mollet qui n´était pourtant pas de sa famille politique. Bref, la guerre devait durer plus de sept ans et, à cause d´une somme d´interprétations douloureuses et d´arrière-pensées entretenues à dessein de favoriser la suspicion entre les deux rives, les relations algéro-françaises ont connu pendant toute cette période des hauts et des bas. Des fluctuations gorgées de passion, de la haine et de l´estimation réciproque et de la passion, notamment en périodes d´embellies. D´où le ton de Jacques Chirac avant-hier quand, évoquant l´histoire commune des deux pays, il souligne «les volontés des deux peuples d´assumer ensemble leur passé commun».
L´ordre du jour de la visite d´Etat du président français n´avait sans doute pas besoin de s´étaler sur le passé pour rappeler que, même dans l´hostilité inhérente au système colonial, on ne peut pas user d´un autre qualificatif que «commune» pour évoquer une histoire qui comptabilise aussi bien les bons que les mauvais côtés de son déroulement. C´est ce qui nous conduit à croire que la civilisation n´est finalement pas un vain mot puisque après l´hostilité qui a marqué pendant longtemps les relations franco-allemandes, il n´était que logique que les liens «quasi charnels» évoqués par le président français, muent et débouchent sur une déclaration solennelle privilégiant tout ce que des termes comme réconciliation, développement et avenir, portent comme symbolique active en vue de rendre positivement exemplaires les relations algéro-françaises.