MME FETTOUMA OUZEGGANE À L’EXPRESSION
«Chaque génération fait sa révolution»
Militante infatigable, «patriote ingérable», Mme Ouzeggane nous livre dans cet entretien sa vision sur la situation sociale et politique au plan national et s’exprime sur les relations algéro-françaises.
Mme Fettouma Ouzeggane: Malgré le chaos organisé, c´est l´avant-garde qui a fait avancer les choses. L´optimisme ne me quittera qu´avec mon dernier souffle. La dynamique de cette jeunesse qui se bat quotidiennement dans la rue, représente pour moi le plus grand espoir. C´est une dynamique à laquelle je crois et qui me conforte dans mon optimisme. Je refuse de dire que ces jeunes sont des aventuriers. L´Etat se doit de les écouter, de leur donner de l´espoir. Ces jeunes n´ont pas trouvé un véritable cadre pour s´exprimer et nous devons aider à les encadrer. Malgré la volonté politique du président, quelles que soient ses bonnes intentions pour changer la situation, il ne peut réussir son projet sans le concours de la société civile. On a des exemples de dépassement chaque jour que Dieu fait. Il n´y a qu´à aller s´enquérir de la situation des citoyens qui subissent le martyre des responsables. Certains walis se comportent en shérifs au niveau de leurs localités où ils ont le droit de vie ou de mort sur les citoyens. Les journalistes font de la diffamation, les citoyens des émeutes et les partis politiques ne sont pas représentatifs, il y a donc un problème! Dans ce cas, il faut régler le problème et chercher où se situe la faille si tout ce beau monde est sur le mauvais chemin. Comment le président pense-t-il régler ces problèmes? Il y a une volonté politique qui se dessine, qui veut s´implanter mais le constat est que rien n´avance réellement sur le terrain. Eh bien, cette chaîne ne peut être brisée que si le peuple est respecté et considéré. Jusqu´à nouvel ordre, le peuple n´est pas respecté. Cette chaîne est constituée de chefs de daïra, de walis, de juges, de commissaires et même de ministres. Elle ne peut être brisée que par le peuple avec lequel le président pourra réussir sa démarche. Il n´est pas possible de voir ce peuple géré par des oligarchies après un combat millénaire qui a mené les Algériens à l´indépendance au prix fort: les enfumades, la répression, les tortures, la prison, les expropriations. En outre, il ne faut pas attendre de l´étranger qu´il vienne implanter la démocratie dans notre pays. Les Américains ne nous connaissent pas comme ils connaissent les pays arabes qu´ils ont côtoyés pendant cinquante ans. Sur tous les plans, les Algériens n´ont rien à prouver. Pendant douze ans, les Etats-Unis et l´Europe décidaient d´un Etat islamique pour nous alors qu´on se faisait massacrer, assassiner et égorger sans que personne ne réponde à nos cris au secours. Maintenant qu´ils en ont eu pour leur compte, ils prennent subitement conscience du danger. Quelle leçon de démocratie peut-on recevoir aujourd´hui d´eux? Ils n´ont pas compris que ce qu´ils ont eu en deux siècles nous l´avons eu en quarante ans. Cela dit, le terrorisme est condamnable quels que soient le lieu et le pays où il frappe.
Bio express |
Issue d´une famille révolutionnaire, Fettouma Ouzeggane s´est vu confier des tâches de liaison et d´hébergement dès le début de la guerre de Libération. Après la mort de son mari en 1957, elle prend une part plus active dans les opérations de la Zone autonome d´Alger. Recherchée puis arrêtée en décembre 1957 par les parachutistes. Jugée en même temps que son père Saïd Ouzeggane et son oncle Amar Ouzeggane, elle a été condamnée à une année de prison qu´elle passera à Barberousse et Maison-Carrée. Elle a été arrêtée pour la deuxième fois en 1960 par les parachutistes, torturée et gardée au secret pendant trois mois à Fort l´Empereur. Suite à l´intervention du Cicr et de la commission de sauvegarde, elle a été expulsée vers la France d´où elle rejoindra Tunis. Proche des centres de décision à l´indépendance, elle a été marginalisée pendant longtemps avant de regagner l´opposition. Ce qui lui a coûté encore des années de prison, notamment à El Harrach et à Médéa où elle a été incarcérée en même temps que son fils Faouzi Rebaïne, condamné à 13 ans de prison. Militante infatigable, Mme Ouzeggane a participé à la création de plusieurs associations de défense des droits de l´homme et des droits de la femme. |
J´adhère entièrement à l´idée de réconciliation à la seule condition que tout le monde fasse son mea-culpa. Du premier président de la République algérienne en l´occurrence Ahmed Ben Bella à ce jour. Il faut tenir compte de notre histoire. Depuis notre indépendance en 1962, il y a eu des déviations. Les erreurs se sont multipliées et accumulées. Le terrorisme et la décennie noire ne sont pas tombés du ciel. C´est la résultante des dérives successives de nos dirigeants. Je ne disculpe en aucun cas le terrorisme islamiste que j´ai combattu sur le terrain de même que je ne disculpe pas les hommes qui se sont succédé au pouvoir depuis 62. Qu´ils assument eux aussi leur part de responsabilités. On a fait la chasse aux opposants durant les années de plomb, la chasse aux Pagsistes durant les années 80, la chasse aux Fisistes par la suite et la chasse au démocrates maintenant. Ceci m´amène à dire que la réconciliation concerne tout le monde. Il faut regarder les choses de la façon la plus large pour attaquer le problème à sa racine si on veut rétablir les torts causés à ce peuple. Je suis veuve de guerre, je me suis battue pour que la lumière soit faite sur tous les cas de disparus.
Ils me connaissent assez bien pour me solliciter. Quoique ce projet n´a pas besoin de campagne, il y aura toujours une clientèle qui affectionne le militantisme de salon. «C´est une patriote ingérable» est-il mentionné dans mon dossier.
Le contrat de Rome, je ne veux même en parler. J´y ai été sollicitée mais j´ai refusé pour deux raisons. La première tient à la qualité du personnel qui a animé cette rencontre. Il n´est pas si transparent ni exempt de critiques. Si ce pouvoir qu´on a toujours dénoncé a survécu c´est parce qu´il n´a trouvé en face de lui que ces pseudo-opposants avec qui il compose dans l´ombre. La seconde raison est que, pour les questions extérieures, je suis intraitable. En 1995 les francs-maçons m´ont contactée par le biais de la soeur d´un haut responsable du gouvernement algérien, ils m´ont demandé d´exprimer les besoins des femmes algériennes, je n´ai pas donné suite à cette sollicitation. De même que je n´ai pas répondu à la présidente du Parlement européen, Anne-Marie Lisa, qui m´a sollicitée pour une association de femmes maghrébines. L´Union européenne devait venir à ce soutien avec un quota pour les femmes maghrébines et moi je n´avais pas les moyens de suivre cet argent.
Puis-je avoir la prétention de passer sur tout ce qui existe pour prétendre qu´un colonisateur de 130 ans aura un autre regard que méprisant? Parce qu´il pense que ce pays n´est pas fait pour nous, il est fait pour lui et lui seul. Qu´il nous jalouse, c´est de bonne guerre mais les déviations que la France est en train de faire sont inacceptables. Lesquelles déviations ont été mues par un laisser-aller de la part de certains de nos responsables depuis les années 80. N´ayons pas la mémoire courte, tout un chapitre de l´hymne national Kassamen a été supprimé du fait qu´il évoquait la France coloniale. Et puis, comment admettre que le 5 Juillet, fête de l´indépendance nationale se soit transformé en fête de la jeunesse. Un général algérien n´a pas trouvé mieux pour justifier ce «dérapage» que de répondre: «parce que nous avons été jeunes». Pour Aussaresses, qui a avoué publiquement avoir tué les fleurons d´une nation comme Larbi Ben M´hidi, une autre réponse encore débile: c´est une affaire franco-française. Ben M´hidi serait peut-être français! La loi glorifiant le colonialisme a été votée par l´Assemblée française en février dernier, je me demande pourquoi nos politiques et nos responsables sont restés jusqu´à aujourd´hui pour la dénoncer. Mais si nos gouvernants ne réagissent pas, il y a la société civile qui réagit. En ce qui me concerne tout ce qui vient de l´autre côté ne m´intéresse pas. Notre peuple est mémoire chargée de tout son passé, son combat a été et est long, il n´a pas d´autre choix. Nos aînés restent un symbole unique qu´on ne peut dénier quel que soit le prix à payer.
Franchement, que peut vraiment apporter ce traité au simple citoyen? Il faut se battre pour une vraie loi, qui protège les Algériens en Europe, et qui leur garantisse le respect qu´ils méritent. Le seul traité qui puisse nous servire est celui des Algériens éparpillés à travers toute l´Europe et même l´Amérique. Ce sont des patriotes prêts à regagner leur pays pour le servir. Voilà un traité qui peut nous aider à sortir la tête de l´eau. Je parle bien sûr des enfants du peuple dont la plupart ne sont pas boursiers, et non des fils de la nomenklatura.
N´allons pas d´un extrême à un autre. Je veux dire simplement qu´il ne faut pas se placer en position de demandeur. Il ne faut pas se faire d´illusions : hier c´était le colonialisme, puis on passe au racisme, ensuite on évoque le terrorisme et maintenant c´est la chasse à l´Arabe avec Sarkozy qui est lui-même un émigré. Vous me direz qu´il y a des intérêts économiques, je répondrai que nous avons des intérêts économiques avec le monde entier. Certes il y a des accords, des lois et des clauses mais nous avons le droit de changer de cap et personne ne pourra nous empêcher de le faire. Pourquoi ne pas se tourner vers la Chine, le Japon et les autres pays asiatiques vers lesquels l´Europe est elle-même en train de se tourner? Soyons lucides et conscients de nos capacités! Nous avons de l´argent, des richesses naturelles et un potentiel humain et on est pas capables de nous faire respecter. Il est évident que la France ne peut pas s´imaginer qu´on évolue aussi vite. En disant cela, je n´ai rien à envier à la France sur tous les plans, moral et intellectuel...
Chaque génération a fait sa révolution. La jeunesse actuelle est en train de faire la sienne à sa manière. Nous avons confiance en eux, ils sont la continuité de leurs aînés et leur digne reflet. Cette jeunesse est en train de payer par son combat pour le travail, le logement, la dignité... la route, l´électricité et les autres commodités de la vie. C´est à ce prix que la liberté et le respect se payent. C´est comme ça qu´on s´est battus nous aussi en notre temps. Le pouvoir n´a jamais été humain. Tous les pouvoirs se ressemblent, ils sont sourds et aveugles...