Kabyles, si vous saviez...
Attention! Ne bâclons pas la solution à la crise en Kabylie. Les bombes à retardement, si elles ne sont pas désamorcées à temps, seraient meurtrières demain, parce que les accommodements douteux ne sont plus admis. Le jeu en vaut-il la chandelle? A coup sûr, oui. La Kabylie va connaître un tournant historique dans les tout prochains jours. Le pouvoir vient de décider de renouer le dialogue avec les archs. Jusqu´ici, les deux protagonistes, qui se regardaient en chiens de faïence, saisissent soudainement que le temps perdu a un prix. Et la paix aussi, en a un. Aussi exorbitant soit-il, le solde de tout compte, qu´il va falloir débourser pour apurer la crise en Kabylie, permettra à l´Algérie de retrouver tous ses repères. Toute sa vigueur d´antan. Sans vainqueur ni vaincu.
Voilà, à coup sûr, le meilleur raccourci à emprunter pour que les adversaires d´hier redonnent vite à ce pays une cohésion nationale, si longtemps malmenée.
Un homme a toutes les chances de réussir cette gageure pour peu que tous ceux qui comptent au sein du Pouvoir l´écoutent. Il s´agit d´Ahmed Ouyahia. Il a entre ses mains ce que peu de dirigeants algériens possèdent: l´humus politique. Celui du terroir. Une arme redoutable pour réussir une négociation ou pour exorciser les démons de la méfiance, alors que se développe une réelle paranoïa d´Alger à Tizi Ouzou. Le «Ouyahia secret» est imaginatif. Avec ce subtile mélange de séduction et de dureté, de charme et d´autorité, il a toujours sorti des idées géniales de son chapeau, car habité par une implacable volonté de réussir. La frilosité du pouvoir, ça c´était avant. Plus de trois ans après, que reste-t-il des harangues enflammées comme des feux de Bengale qui avaient alors embrasé la Kabylie? A la gesticulation démagogique des uns, a succédé la realpolitik des autres. Le temps est le meilleur antidote à la folie des hommes.
La fièvre de la «fournaise kabyle» a fait place au fur et à mesure à plus de sérénité. Soyons francs : la crise en Kabylie a perduré, parce que les hommes du pouvoir étaient simplement incapables de la gérer politiquement. Il y a eu effusion de sang. Près de 130 Algériens ont trouvé la mort en quelques semaines. Et la répression fut sanglante sans que ses initiateurs rendent des comptes. La haine s´était installée dans les coeurs pour ne plus décamper des quatre coins de la Kabylie. Que de mensonges impudents ont failli chèrement faire payer à toute l´Algérie sa sacro-sainte unité nationale durement ébranlée.
Aujourd´hui, qui du pouvoir ou des archs voudrait donc régner sur un champ de ruines? La décantation s´est opérée dans l´esprit des animateurs de la révolte kabyle. Oui, n´ayons pas peur des mots. Il s´agit bien d´une révolte. La région en porte encore ses stigmates. La misère est entrée, depuis, par la grande porte. Le chômage bat tous les records. Le commerce a périclité et les investisseurs ont mis la clé sous le paillasson. D´autres maux risquent de gangrener les restes d´un tissu social, déjà sévèrement rongé par la bêtise des Hommes.
Un «plan Marshall» de deux milliards de dollars pourrait faire rattraper à la Kabylie le temps perdu. Et réussir à convaincre bien des réticences.
Je sais que les principaux chefs des archs sont décidés, aujourd´hui, à trouver une solution. Si le compromis demeure un moyen idéal pour réaliser la paix, il faut néanmoins comprendre que Belaïd Abrika et les siens ne braderont jamais les revendications contenues dans la plate-forme d´El Kseur. Autour du tapis vert, les mots seront durs et les paroles seront crues à cause de cette haine recuite qui sévit depuis bientôt quatre ans. Si le pouvoir fait montre de volonté politique, il ne restera plus d´obstacles à surmonter, à part, peut-être, celui de tenir ou pas un référendum pour statuer sur le tamazight. Je crois savoir, pour ma part, que les représentants des archs pourraient lâcher du lest si le pouvoir a du génie politique. Mais en a-t-il réellement? Un engagement officiel du gouvernement à mettre en oeuvre, au cours des quatre prochaines années du mandat de Bouteflika, les mécanismes pour instituer le tamazight, langue officielle, suffirait à gagner une vraie bataille de confiance en Kabylie.
Seulement, que nos dirigeants sachent, aujourd´hui plus que demain, comme le dit Machiavel, que «ce n´est pas avec des mots qu´on maintient des Etats».