IMMIGRATION CLANDESTINE
La traversée de la mort
La misère, la déchéance et la famine, nées des dysfonctionnements des régimes africains, sont à l’origine de la clandestinité.
Poussés par le désir ardent de survivre, des milliers d´Africains fuient leur pays d´origine et tentent l´aventure vers d´autres horizons où l´Algérie constitue une phase de transit.
Comment et de quelle façon, ces femmes, hommes et enfants s´introduisent-ils en Algérie? Généralement, les ressortissants africains font appel aux réseaux de passeurs transnationaux parfaitement informés sur les itinéraires des patrouilles de surveillance.
Par petits groupes de 10 et sous l´encadrement des passeurs dont certains sont armés, les «quêteurs d´une vie meilleure» sont parqués, pour une première étape, dans des endroits isolés dans les régions de Tamanrasset où il est dit que «des locaux sont aménagés à quelques mètres sous le sable des grands ergs». On relève que certains quartiers à l´est de la ville de Tamanrasset, dont Gaât El-Oued, se sont transformés en véritables ghettos fréquentés par des populations appartenant à des tribus africaines organisées selon leurs propres coutumes. Ces ghettos existent aussi dans la wilaya de Tlemcen, à Maghnia et précisément à Oued Ouardfou où plus de 2000 personnes de diverses nationalités sont rassemblées.
Tam est la première étape du long périple à travers les immenses étendues désertiques. De cette étape, deux destinations sont offertes aux clandestins: l´Ouest algérien, pour ceux désireux de rejoindre l´Espagne, via le Maroc, et l´Est algérien pour ceux projetant de regagner l´Europe, via Alger ou Tunis, via Béjaïa. Pour cette dernière option, les clandos observeront une pause à la ville d´El-Menia aux portes du Sud. Le traitement accordé aux uns et aux autres déterminé selon les bourses, mais la plupart du temps ce sont les bains maures (hammam) qui leur servent de lieux d´hébergement. Quitter la première étape est déjà une difficulté pour les clandos, obligés de négocier «le prix du passage». Les réseaux de passeurs sont interconnectés à d´autres réseaux spécialisés dans la falsification de documents. Ces derniers sont sollicités par les passeurs, pour produire de fausses identités au profit de certains ressortissants fraudeurs ayant la possibilité de payer le prix. Toute monnaie est valable. Le franc, l´euro, les dollars, les dinars et parfois les femmes sont échangées pour leur prise en charge vers la destination de leur choix. Ces dernières sont échangées sur place ou, éventuellement «cédées pour un mois à 9000 DA» à Alger pour la constitution de réseaux de prostitution comme cela a été le cas de celui démantelé à Bouzaréah. Dans d´autres cas, elles sont cédées pour la même somme pour être femmes de ménage. Certains ne quitteront pas la première étape par manque de ressources, de force ou de courage.
On raconte que bon nombre de ces derniers réussissent à accéder fallacieusement à la nationalité algérienne et se fondent au sein des populations des nombreux ghettos. Une minorité des clandos tente d´atteindre la deuxième étape. Dans ce cas et en guise de prix de passage, les clandestins sont chargés de livrer des paquets contenant des psychotropes et autres drogues à certaines personnes à Alger ou dans d´autres régions. Certains de ces clandestins, qui arrivent à atteindre la capitale, sont pris en charge par des groupes de malfaiteurs spécialisés dans la fausse monnaie, mettant en danger l´économie. Beaucoup de ces réseaux ont été démantelés par les forces de sécurité qui ont mis au jour du matériel pour la fabrication de fausse monnaie, de faux documents...
Un grand nombre de ces immigrants clandestins sont appréhendés en cours de route et dans les grandes villes notamment Alger. Les plus chanceux représentant une main-d´oeuvre à bon marché, seront employés au noir dans des chantiers ou pour la construction d´édifices pour le compte de certaines personnalités d´origine africaine, lesquelles leur offrent une chance de «survie». Ces édifices en cours de réalisation constituent des lieux d´hébergement aux clandestins sous le couvert de gardiennage.
Dely Ibrahim, Bouzaréah et autres communes sont réputées être des lieux de concentration d´immigrants qui, le plus souvent, constituent des lieux de débauche et de trafic de drogue. Les plus ambitieux mûriront le projet de rejoindre l´Europe et pour ce faire sont prêts à tout pour réunir les fonds nécessaires. Tous les travaux sont bons. La résolution de survivre affichée par ces derniers est mise à profit par les réseaux de différentes natures et qui ne trouvent aucune difficulté à les récupérer en leur sein.
Pour d´autres, et grâce aux appuis de certaines personnes influentes, ils sont casés et employés au sein de certaines infrastructures diplomatiques. Il faut dire que ces cas sont rares, mais ceux qui y accèdent ont de fortes chances de «réaliser leur rêve de rejoindre l´Europe en payant le prix fort exigé par les réseaux». Certains payeront de leur vie le passage par voie maritime ou terrestre. L´immigration clandestine, qui trouve ses origines dans l´instabilité des régimes politiques de certains pays, préoccupe les pays frontaliers servant de transit, comme c´est le cas pour l´Algérie. La préoccupation majeure réside dans le fait que les immigrants clandestins sont le plus souvent un vecteur de transmission de diverses maladies, mais surtout un important vecteur de trafic en tous genres et où la drogue et les psychotropes occupent la première place. Durant le mois écoulé, des centaines d´immigrants clandestins de différentes nationalités ont été interpellés par les services de sécurité, notamment ceux de la Gendarmerie nationale à pied d´oeuvre sur les vastes étendues désertiques que comprend le Sud algérien. La sécheresse, la paupérisation et les conflits ethniques sont à l´origine de ce phénomène qui draine des problèmes multiples subis par l´Algérie. Les difficultés éprouvées par l´Afrique, à la suite des conflits sont aggravées par le désengagement économique des puissances occidentales et exacerbées par les effets de la mondialisation relayés par l´endettement contracté par les pays africains. Il faut aussi dire que la facilité trouvée par les clandestins pour accéder au travail en Algérie a favorisé le flux migratoire. Il y a lieu d´interpeller, dans ce sens, les autorités algériennes à veiller à l´application rigoureuse de la législation du travail en matière d´emploi des étrangers en Algérie. Pour ce faire, des contrôles inopinés sur les chantiers seraient souhaitables afin de réduire et de décourager les clandestins qui «s´installent dans les grandes villes au vu de la fermeture des frontières européennes». Au plan politique, il serait souhaitable que les autorités algériennes redéfinissent les conditions d´entrée et de séjour, durcissent les dispositions en matière de refoulement et d´expulsion et infligent de lourdes peines aux contrevenants. Selon des informations sécuritaires, ces réseaux possèdent des ramifications et des structures d´accueil dans de nombreux pays. Les moyens de transport utilisés par les membres de ces réseaux sont multiples et puissants allant des véhicules légers au gros tonnage. Certaines informations indiquent que la plupart des membres seraient armés d´où les difficultés par les servi-ces de sécurité de les approcher. Ces réseaux s´adonnent à divers trafics notamment la contrefaçon, la drogue, la contrebande, la prostitution, la falsification de documents engendrant des troubles de l´ordre public.
Ces réseaux, souvent soutenus par des complices à l´étranger, sont à l´origine de la clandestinité et des répercussions sur le plan sécuritaire, social, culturel et sanitaire. Doté de portables cellulaires et autres moyens de communication sophistiqués, les membres des réseaux coordonnent leurs mouvements. Des structures d´accueil sont fonctionnelles en Europe pour orienter et prendre en charge les clandestins dès leur arrivée sur le sol européen.
Il ne se passe pas un jour sans que
les forces de sécurité interpellent des immigrants clandestins.
En l´espace d´un mois, les éléments de la Gendarmerie nationale, appuyés par ceux de l´armée, ont arrêté plusieurs centaines d´hommes et de femmes entrés frauduleusement sur le territoire national. A titre informatif et selon les statistiques de la Gendarmerie nationale, 737 affaires ont été traitées et 4 273 ressortissants ont été arrêtés en 2001 contre 2476 durant les 9 mois de l´année 2002. Parmi ces derniers, 454 ont été interpellés pour immigration clandestine et 64 pour séjour irrégulier. 6 d´entre eux étaient en possession de faux passeports et 29 pour complicité dans des réseaux internationaux de passeurs. Bon nombre de ces clandestins ont été reconduits aux postes frontaliers par les gendarmes. Par ailleurs, 2476 ressortissants de différentes nationalités ont été arrêtés en différents points des frontières terrestres. Durant les trois dernières années, 9555 se sont introduits en Algérie dont 5790 reconduits aux postes frontaliers d´In Guezzam (frontière du Niger) et Tin Zaouatine (frontières du Mali) à celui de Tlemcen. Les chiffres enregistrés permettent de mesurer aussi les difficultés rencontrées par les services de sécurité pour le pistage des clandestins sur des espaces hostiles. Les difficultés résident dans le fait que ces clandestins sont, le plus souvent, encadrés par des passeurs ayant une parfaite connaissance du terrain. La lutte engagée par les forces de sécurité contre le flux massif vers l´Algérie induit d´énormes dépenses tant financières qu´humaines et pose, d´une façon évidente, des problèmes sur les plans politique, sécuritaire, économique, culturel et social. Les frontières de l´Ouest sont aussi un point de passage des clandestins charriant, par la même occasion, un énorme trafic de drogue acheminé à partir du Maroc notamment Ketamma, réputée être une plaque tournante du trafic mondial de drogue. Cette région constitue, aujourd´hui, un refuge pour ces clandestins ne pouvant regagner l´Europe. Au vu des 8000 km que constituent les frontières terrestres du Sud et les quelque 1200 km de côtes maritimes, soit environ 9500 km, la mission des forces de sécurité ne semble pas être de tout repos. Devant ce phénomène appelé à persister, il est plus que nécessaire que les services en question soient appuyés par une surveillance aérienne et, si besoin est, par la voie du nouveau récemment mis en orbite. Les autorités nationales et internationales sont appelées à conjuguer leurs efforts pour juguler ce phénomène dont les effets néfastes se font sentir au niveau national et international.