SCANDALE DE LA MUTUELLE DE L’HABITAT
Les coupables cherchent à brouiller les pistes
«<I>administrateur veut dire liquidateur chez nous, et liquidation veut dire passer l’éponge.</I>»
L´enquête publiée par L´Expression sur les magouilles en cascade et la spéculation foncière par l´ancienne direction de la Mutuelle de l´habitat (Mghu), a provoqué un séisme chez les auteurs, visiblement lâchés par les gros bonnets impliqués dans les scandales, dont les préjudices financiers se chiffrent à des centaines de milliards.
Les loups sont sortis de leur tanière et les vérités rapportées par l´enquête ne représentent «en fait qu´une infime partie des terribles scandales», selon les cadres de la Mghu rencontrés. «Pas moins de 15 rapports d´expertise ont été élaborés pour détecter les anomalies de gestion et ce n´est pas encore fini», indique M.Mohamed Cheldad, D.G de la mutuelle.
Les 15 rapports d´expertise effectués par l´actuelle direction ainsi que le rapport de l´IGF ont été remis à la justice. Certains directeurs d´agence, impliqués dans le trafic immobilier, y ont déjà laissé des plumes, ainsi que des entrepreneurs influents et des bureaux d´études qui ont bénéficié du double paiement avec la complicité des directeurs d´agence. Les plus en vue sont au niveau de l´agence de Sétif qui détient le record de projets fictifs. D´ailleurs, le séjour en prison de l´ex-directeur d´agence de Sétif vient d´être prolongé au terme d´une affaire d´usurpation de fonction et faux en écriture.
En effet, l´actuelle direction de la Mghu a non seulement été à l´origine de l´appel aux enquêteurs de l´IGF en fournissant des documents compromettants sur la gestion de l´ex-DG, Saïd Abdelmalek, actuellement en fuite et sous le coup d´un mandat d´arrêt délivré par le magistrat instructeur près le tribunal de Sétif, mais aussi la mise sous les verrous de certains cadres dans d´autres régions du pays, notamment à Oran. Les autres cadres sont impliqués dans une sorte de réseau national de spéculation immobilière et foncière.
La lourdeur de la machine judiciaire a été exploitée par des complices qui se sont livrés à des pressions sur les cadres gênants de l´actuelle direction. Tantôt par la menace, tantôt par la remise en cause de la légitimité du conseil d´administration.
Le réseau a même actionné ses relais pour exhorter le ministre du Travail à nommer un administrateur, ce qui permettra de bloquer les démarches de poursuites judiciaires. «Administrateur veut dire liquidateur chez nous et liquidation veut dire passer l´éponge», nous dit-on.
Les tentacules n´auraient pas épargné la justice, nous indiquent des sources confirmant le non-aboutissement de certaines plaintes contre des nantis oranais impliqués dans le détournement d´hectares destinés à un projet social.
L´actuel président de la Mutuelle de l´habitat et de l´urbanisme, Ahcène Bekkouche, n´a pas mâché ses mots en qualifiant, lors d´un entretien accordé à L´Expression, que la mutuelle «servait de caverne d´Ali Baba, dont les quarante voleurs sont difficiles à débusquer», en ajoutant: «Depuis mon élection à la tête du conseil national, nous avons procédé au recensement de l´ensemble du patrimoine à travers le territoire et cela a gêné certains.»
Ceux-là mêmes qui ont activé pendant dix années sans aucun bilan d´activité. Le président du conseil d´administration, un syndicaliste de longue date, a, sur la même lancée, livré des révélations époustouflantes. «Parmi les 29 projets de logements, 24 ne répondent pas à la législation, tandis que d´autres ne sont pas conformes à la réglementation des crédits avec la Cnep.»
Le silence de M.Bekkouche en dit long sur les dossiers de promotion avec la Cnep. L´enquête, qui n´a pas livré tous ses secrets, amène à se poser des questions, à savoir comment peut-on accorder des crédits pour le financement de projets immobiliers sans qu´il y ait au préalable une garantie d´hypothèque? Le dernier des responsables des crédits d´une banque n´aurait pas financé des projets sans la constitution de dossier, comme l´exige la réglementation. Il y a aussi à signaler que des crédits ont été accordés sans que l´ex-DG fournisse les actes de terrain, la liste des acquéreurs et les carnets de Cnep alimentés de l´apport personnel, comme le stipule la loi (20 unités obligatoires). Des conditions élémentaires n´ont pas été respectées pour la majeure partie des projets, alors que des crédits ont été débloqués sans que des projets précédents soient régularisés. De Ouargla, Sétif, Oran en passant par Alger, plusieurs projets n´ont pas été achevés et même ceux qui l´ont été ne trouvent pas d´acquéreurs, compte tenu des prix exorbitants causés par le taux d´intérêts très élevé, estimé à 147 milliards. Des négociations sont en cours avec la direction générale de la Cnep, qui s´est montrée réceptive au désarroi des petits mutualistes.
«Je ne reviendrai pas en arrière jusqu´à l´aboutissement du plan d´action du conseil», a indiqué M.Bekkouche. «Déjà, on a pu restituer des biens des mutualistes en dépit des résistances (...) Nous n´avons rien à cacher, faites vos enquêtes», a-t-il conclu.
Une série de vols et de destruction de documents a été détectée lors des expertises. Cela a été accompagné de campagnes médiatiques d´acharnement sur les cadres ayant dénoncé les anomalies de gestion relevées par l´actuelle direction.
Les auteurs des campagnes de pression, nous a indiqué le président de la Mghu, «ne sont autres que ceux qui craignent d´être cités par les incriminés déjà sous les verrous (...) Depuis la remise du rapport de l´IGF accompagné par nos expertises en 2001, le réseau tente désespérément de brouiller les pistes pour le ministère et le syndicat Ugta en possession du dossier.» A ce propos, le président du CA s´est interrogé: «S´ils ont assez de preuves contre notre gestion, qui est passée de 83 millions de découvert à un milliard d´excédent, plus les placements, pourquoi ne sont-ils pas allés en justice?»
Deux terrains, le premier réservé à 100 logements et le second à la construction du siège d´Oran, d´une superficie de 11 868 m², ont été détournés et fragmentés en 37 lots distribués aux gros bonnets.
Parmi les mis en cause dans cette affaire, figure l´ex-président de l´administration, qui n´est autre que l´ex et fameux DEC de Bir El-Djir. L´ancien président du conseil vient d´être condamné en appel à 18 mois de prison dans une affaire de foncier, liée à l´affaire de l´ancien wali d´Oran, Frik, selon le rapport de l´IGF. Sur la liste des bénéficiaires des lots, figurent des responsables de la wilaya, de la Duch et des domaines de la wilaya d´Oran.
A Sidi Bel Abbes, un projet de 50 logements a été lancé et achevé, mais sa clôture n´a pas été effectuée par l´ex-chef d´agence pour des raisons incompréhensibles. Celle-ci n´a été réalisée qu´en 2002. Le chef d´agence a accaparé des locaux. Par ailleurs, le même chef d´agence, qui fait l´objet d´une plainte de l´actuelle direction, a «procédé à la vente des lots de terrain sur instruction de l´ex-DG pour la construction de villas individuelles». Le terrain en question était destiné à la construction de 126 logements, révèle le rapport de l´actuelle direction, transmis au département de Louh et à la justice.
Contacté par nos soins, le secrétaire national chargé des conflits sociaux, en l´occurrence M.Boualem Bouzidi, a confirmé les déclarations des cadres de la mutuelle. «Nous avons un dossier détaillé sur les dilapidations qui ont été opérées sur les biens des travailleurs mutualistes. Sans vouloir s´interposer dans les enquêtes en cours, nous dénonçons toute irresponsabilité dans la gestion de l´ancienne direction.» «L´Ugta ne manquera pas à son devoir d´aider les travailleurs à récupérer leurs biens», a-t-il conclu en menaçant par des termes à peine voilés: «La Centrale utilisera ses moyens pour mettre fin aux pressions exercées sur l´actuelle direction.»
Les déclarations de Boualem Bouzidi sont intervenues à la veille des mesures prises par le département de M.Louh qui a convoqué les membres du conseil consultatif des mutuelles, dépêchés à la Mghu pour étudier les mesures à prendre au terme des multiples rencontres.
Les mutualistes ont promis de tout déballer au moment opportun.
Une affaire à suivre.