LA FRANCE FACE À SES CONTRADICTIONS
Que nous veut Chirac ?
Si le Président Bouteflika avait quitté Paris en juin 2000 «les mains vides», Jacques Chirac, qui arrive samedi à Alger, risque également de venir les mains vides. A Alger, on s’interroge sur l’intérêt du déplacement chiraquien qui englobera aussi Tunis et Rabat, tant rien n’a semblé évoluer positivement depuis des mois entre les deux pays.
Ambiguïtés, hésitations, volte-face..., la position française à l´égard de l´Algérie a emprunté des chemins sinueux qui se soldent par un bilan maigre en termes de relations politiques, militaires et économiques. Jacques Chirac s´est rappelé, à moins d´une année des élections présidentielles en France, qu´il existe un voisin au sud de la Méditerranée qu´il s´agit de rassurer et de conforter dans ces options, car, hormis des promesses sans lendemain, les principaux points de contentieux algéro-français demeurent insolubles.
Cette politique française, basée sur les seules «bonnes intentions», irrite au plus haut point les autorités d´Alger. Les dossiers s´accumulent et Paris ne semble pas prendre très au sérieux le fait que les Algériens sont profondément déçus de leur «politique algérienne» qui ressemble au traitement qu´accorde la France à un pays mineur d´Afrique noire. Paternalisme, moralisme et chantage politique ont fait partie du registre français.
Dans le détail, cela donne un tableau peu reluisant. Le dossier du retour d´Air France, par exemple, est tout à fait symptomatique du malaise qui existe entre les deux pays. La compagnie publique française, qui a déserté les aéroports algériens depuis l´affaire de l´Airbus en 1994, ne s´est pas toujours décidée à un retour vers Alger. Ce dossier, qui est toujours à l´étude, n´évolue guère à cause de la rigidité de la partie française. Les ministres français des Transports ont tous trouvé prétexte sur l´autonomie de gestion de cette compagnie aérienne pour retarder le règlement de cette question. Soit le conseil d´administration d´Air France temporise, soit c´est le personnel navigant dont le Syndicat des pilotes de lignes qui refuse de se rendre en Algérie pour cause de conditions de sécurité «insuffisantes».
Cette «mascarade» a été entretenue même après le retour de compagnies telles que Alitalia, Iberia ou Turkish Airlines qui, malgré leur appartenance à l´UE, n´ont pas posé de préalable sécuritaire. La France campe sur ses positions concernant la sécurité, tentant même de placer des agents du Gign pour assurer la sécurité à Alger, et depuis le dossier n´a pas évolué d´un iota.
La visite de Chirac peut-elle être décisive sur ce point? Si Air France décidait de revenir, ce n´est pas pour aplanir ce contentieux, mais surtout pour tenter de redresser sa situation financière mal engagée avec les plans de restructuration interne et l´ouverture de l´espace aérien français à la concurrence européenne. La ligne Paris-Alger est juteuse. Air France perd des marchés en France et en Europe et pourrait se renflouer sur la lucrative destination que représente l´Algérie, si les liaisons étaient rétablies. Il aura fallu qu´une compagnie privée comme AOM Liberté brise le tabou pour qu´on évoque une amélioration dans ce dossier. Le P-DG de cette compagnie n´hésitant pas à comparer l´aéroport Houari-Boumediene à celui de Tel-Aviv concernant les normes de sécurité en vigueur. De ce cafouillage français, les autorités algériennes auront retenu la mauvaise foi politique des décideurs français.
Sur le plan politique, la situation n´est guère meilleure. Paris accumule les bourdes, volontaires ou pas, sur d´innombrables dossiers. Alors que l´Algérie s´apprêtait à fêter l´anniversaire du 1er Novembre, Chirac décide de réhabiliter dans un show grandiose les harkis. Alors que le général Aussaresses met le doigt, avec la précision d´un chirurgien «euthanasiste» sur les crimes de l´armée française en Algérie, et sur la torture pratiquée, Jospin et Chirac ne suivent pas leur opinion publique qui demandait à 78% que la France fasse des excuses officielles à l´Algérie pour ses crimes de guerre et crimes contre l´humanité. Le gouvernement français allant même jusqu´à décider qu´il n´y aura aucune repentance officielle. Alors que des jeunes Algériens tombaient en Kabylie, Paris, par la voix de Hubert Védrine, n´a pas trouvé mieux à faire que de jeter de l´huile sur le feu et radicaliser une opinion algérienne immigrée. Alors que le même Védrine venait «refonder» les relations bilatérales en février 2001, les allégations d´un sous-lieutenant déserteur contre la hiérarchie militaire algérienne étaient grossies démesurément par les cercles politico-médiatiques français. Alors que l´Algérie coopère pleinement avec les instances onusiennes concernant la question des droits de l´Homme, Paris mobilisait intellectuels, universitaires, politiques et autres journalistes à travers des pétitions qui demandaient carrément au pouvoir algérien de démissionner en bloc...
La liste de ces bourdes est trop longue pour être détaillée et a creusé un fossé difficile à combler, mais cela n´a fait que refroidir les ardeurs de ceux qui croyaient que Paris avait effectivement changé de perception de la crise algérienne depuis l´avènement de Bouteflika. Il n´en fut rien.
Le volet économique est, de ce fait, encore plus déplorable. Malgré les promesses du patronat français au pavillon de la Porte Dauphine à Paris devant un Bouteflika indulgent, les entreprises françaises sont loin de se bousculer au portillon du marché algérien. Mis à part Total qui tente de regagner du terrain dans le domaine pétrolier face à des Américains sans état d´âme, les autres géants industriels français que sont la Lyonnaise des Eaux, Bouygues ou encore France Telecom, n´ont pas su transformer leurs promesses en investissements palpables. Il en ressort une morosité et une crainte persistantes chez les entrepreneurs français nullement encouragés par le gouvernement Jospin qui multiplie à travers le Quai d´Orsay, des avertissements et des mises en garde qui n´ont plus cours.
Dans le domaine militaire, c´est le néant. Paris, qui a encouragé un embargo au niveau européen contre toute vente d´armes à l´Algérie confrontée pourtant à un terrorisme puissant, peut, dorénavant méditer cette erreur stratégique.
Le Président Bouteflika s´est tourné vers les Etats-Unis et a reçu un appui concret qui va se transformer en livraison d´équipements militaires sophistiqués dans le cadre de la lutte internationale contre le terrorisme, relancée depuis les attentats antiaméricains du 11 septembre.
Paris aura ainsi eu tout faux dans son rapport avec Alger. La visite de Chirac à Alger ne risque pas de déboucher sur des annonces extraordinaires tant que les politiques français alimenteront une hostilité perverse vis-à-vis d´un partenaire qui ne demande pas plus que des relations «équitables, respectueuses et réciproques».