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L’olivier entre saint Augustin, Mouloud Mammeri et ma mère Lalla Rabha

Dans toute l'histoire humaine aucun arbre n'a autant attiré l'attention des prophètes, des écrivains et des historiens que l'olivier.
Les Écritures saintes l'ont mentionné avec sacralisation et énigme. Les légendes ont raconté des histoires fantastiques à son sujet. Entre utilité, noblesse et sanctification, l'olivier a traversé l'histoire noyé dans les secrets et les curiosités de l'être humain. Il a grandi dans les champs comme dans la poésie, dans le roman, dans la chanson populaire et dans la peinture. Et il est toujours admiré.
Si l'histoire d'El Qods a été associée à un olivier vieux de
4 000 ans, l'histoire de l'Algérie est également liée à l'olivier saint Augustin (354-430) verdoyant jusqu'à aujourd'hui à Souk Ahras, l'antique Thagaste. Les historiens estiment que l'olivier de saint Augustin trois fois millénaire (2900 ans) est l'un des plus anciens oliviers encore vivants dans le monde. À l'ombre de cet olivier, on raconte que saint Augustin avait l'habitude de s'asseoir pour méditation, prière et écriture. Et que c'est grâce à cet olivier qu'il détenait l'intelligence, la spiritualité et la sagesse. Jusqu'à présent les femmes de Souk Ahras enterrent les prépuces de leurs enfants, après la circoncision, autour du tronc de cet olivier afin qu'ils soient doués à l'image de saint Augustin.
Cet intérêt pour l'olivier de saint Augustin montre la place qu'occupe cet arbre dans la cultureamazighe. Au fil du temps, l'olivier est devenu le symbole de l'amazighité. L'olivier sanctuaire de saint Augustin doit être classé par l'Unesco comme patrimoine mondial de l'humanité.
Autour de l'olivier s'est fondée toute une narration culturelle amazighe, longue, et diversifiée, composée d'un riche répertoire de poésie, de contes et de légendes qui ont sauvegardé avec intelligence et précision la mémoire des Amazighs d'Afrique du Nord.
La cueillette des olives en Kabylie se fait dans des rituels socioculturels spécifiques. À la fin du mois d'octobre, hommes, femmes et enfants, se dirigent vers les oliveraies pour célébrer cette fête agricole annuelle. Même les familles vivant dans des villes lointaines attendent les jours de la cueillette pour revenir au village et participer à la célébration de cette fête communautaire. La cueillette est plus qu'un simple ramassage d'olives, elle est l'image d'une appartenance à une culture qui a ses propres racines.
En cette saison des récoltes, rien n'est laissé au hasard, même les oiseaux ont leur part d'olives laissées à leur intention sur les arbres.
Les Amazighs considèrent l'olivier comme un être humain, s'efforçant de ne pas endommager ses branches au moment de la récolte, de ne pas blesser les olives qui tombent dans les filets pour les garder propres et intactes.
La saison de récolte des olives est un moment culturel et social qui symbolise le respect des Amazighs pour le travail collectif, appelé Twiza.
Mouloud Mammeri (1917-1989), anthropologue, romancier et intellectuel qui a consacré toute sa vie au combat scientifique, culturel et politique pour la réhabilitation de la langue et de la culture amazighes en Algérie est un fervent amoureux de l'olivier.
Il est à ses yeux comme un témoin de l'Histoire et un facteur important pour comprendre la culture. L'olivier est une piste historique pour une meilleure compréhension de la personnalité amazighe d'Afrique du Nord. L'histoire de chaque nation est associée à un arbre. L'histoire de l'olivier est fusionnelle à l'histoire de nos ancêtres, à leurs jours de gloire et à leurs jours de pauvreté, à leurs jours de résistance et à leurs jours de paix.
De saint Augustin à Da Mouloud Mammeri, l'olivier a une présence particulière.
Mouloud Mammeri écrit dans un de ses beaux textes, en réponse à une question qui lui a été posée par l'écrivain Jean Pélégri (1920-2003), sur son arbre préféré, dont voici quelques paragraphes:
«L'arbre de mon climat à moi c'est l'olivier; il est fraternel et, à notre exacte image. Il ne fuse pas d'un élan vers le ciel comme vos arbres gavés d'eau. Il est noueux, rugueux, il est rude. Il oppose une écorce fissurée mais dense, aux caprices d'un ciel qui passe, en quelques jours, des gelées d'un hiver furieux, aux canicules sans tendresse.
À ce prix, il a traversé les siècles. Certains vieux troncs, comme les pierres des chemins, comme les galets de la rivière, dont ils ont la dureté, sont aussi immémoriaux et impavides aux épisodes de l'histoire; ils ont vu naître, vivre et mourir nos pères et les pères de nos pères. À certains, on donne des noms comme à des amis familiers ou à la femme aimée (tous les arbres chez nous sont au féminin) parce qu'ils sont tissés à nos jours, à nos joies, comme la trame des burnous qui couvrent nos corps. Quand l'ennemi veut nous atteindre, c'est à eux, tu le sais Jean, qu'il s'en prend d'abord. Parce qu'il pressent qu'en eux une part de notre coeur gît et...saigne sous les coups.
L'olivier, comme nous, aime les joies profondes, celles qui vont par-delà la surface des faux-semblants et des bonheurs d'apparat. Comme nous, il répugne à la facilité. Contre toute logique, c'est en hiver qu'il porte ses fruits quand la froidure condamne à la mort tous les autres arbres. C'est alors que les hommes s'arment et les femmes se parent pour aller célébrer avec lui les noces rudes de la cueillette. Il pleut souvent, il neige, quelquefois il gèle. Pour aller jusqu'à lui, il faut traverser la rivière et la rivière en hiver se gonfle. Elle emporte les pierres, les arbres et quelquefois les traverseurs. Mais qu'importe! Cela ne nous a jamais arrêtés; c'est le prix qu'il faut payer pour être de la fête.»
Ma mère Lalla Rabha avait une relation particulière et affective avec l'olivier. Comme ma grand-mère avant elle, elle était persuadée que toutes les maladies pouvaient être traitées et guéries avec de l'huile d'olive.
Notre maison n'a jamais manquée d'huile d'olive de différents qualités, et ma mère avait la capacité de les différencier et la sagesse de les utiliser.
Dès que l'un d'entre nous se plaignait des maux de tête, il devait impérativement prendre une ou deux cuillères d'huile d'olive, ainsi tout rentrait dans l'ordre. Si l'un d'entre nous se plaignait de douleurs musculaires, de douleurs articulaires, douleurs abdominales, il fallait masser avec de l'huile d'olive tiède et la guérison était inévitablement au rendez-vous.
Même quand quelqu'un souffrait d'un chagrin d'amour, d'une séparation ou d'un abandon, l'huile d'olive restait le remède magiquedes amoureux. Elle était le médicament mythique de toutes les souffrances corporelles et spirituelles.
L'huile d'olive était aussi un remède contre la folie, contre la pauvreté, contre l'impuissance sexuelle, contre la stérilité. Elle donnait de la force contre les trous de mémoire,elle étaitconseillée par ma mère pour les jours des examens scolaires! Avec de l'huile d'olive on soignait les hommes, les femmes, les enfants, les chèvres, les moutons, les vaches, les chiens, les ânes, les chevaux et les oiseaux!
Et sous une petite lumière émanant d'une mèche trempée dans l'huile d'olive, j'ai lu le Coran, Homère, Shakespeare, Tawfiq al-Hakim, Naguib Mahfouz, Molière, Mutanabbi, René Char, Dostoïevski, Nabokov, Mouloud Feraoun, Henry Miller, Kant, Ibn Rushd, Maïmonide, Al Maâri, Kateb Yacine et d'autres..

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