RYM DRAOUI À L’EXPRESSION
«Je suis une femme digne et accomplie»
Pour avoir eu le courage de protester, sa carrière sportive s’est brusquement arrêtée un jour de septembre 2004.
Cela fait, plus de deux ans que la karatéka mène un combat contre l´injustice et l´indifférence dont elle a été victime dans son milieu, suite à un désaccord sur l´arbitrage lors des Jeux sportifs arabes en 2004. L´Expression l´a rencontrée pour rendre compte de sa situation et de celle de ses pairs féminines.
Rym Draoui: J´ai assisté avec une attention toute particulière à ces débats inédits en Algérie, tout d´abord en tant qu´athlète de haut niveau, mais surtout parce que je pense représenter une génération de femmes. Celle qui s´est battue et qui continue la lutte pour une reconnaissance et une légitimité évidente de la place de la femme dans le sport. Je me place, en quelque sorte, en avocate de toutes celles qui sont exclues du système parce qu´elles font le choix de leur vie et de leur destinée. De plus, je viens de l´Est de l´Algérie, de Batna précisément, où les mentalités sont encore assez réfractaires sur le sujet par rapport à la capitale. Cependant je peux dire, aujourd´hui, que je suis fière de ma position d´athlète féminine et je la revendique, même si cela n´a pas été toujours facile.
Ma carrière internationale a pris fin lors de ces fameux Jeux sportifs arabes que mon pays a organisés en 2004. Je suis devenue, en cette occasion, tristement célèbre depuis ce jour où j´ai refusé la soumission. En fait, à l´issue de la finale de ma catégorie lors de ces Jeux, il était évident que la médaille d´or me revenait. J´avais fait un tel sacrifice dans la préparation, et ce, pendant une année, que cette compétition ne constituait qu´une étape de plus vers les Championnats du monde du Mexique. Quelle ne fut ma surprise lorsque, pour des raisons politico-diplomatiques, on a remis la médaille d´or à la princesse de Dubaï que j´avais battue. Furieuse, j´ai catégoriquement refusé de monter sur la deuxième marche du podium. Je venais de marquer le début de la fin de ma carrière.
J´ai été tout simplement suspendue de mes fonctions. Mon geste a été symbolisé comme une insulte pour la délégation diplomatique émiratie de l´époque. En Algérie je me bats encore pour reconquérir la reconnaissance que l´on me doit. Je n´ai plus aucun statut, à proprement parler, à défendre dans la profession. Durant toute ma carrière, malgré les nombreux titres et médailles que j´avais remportés, je n´avais eu droit qu´à quelques lignes dans la presse. L´incident des Jeux sportifs arabes m´a propulsée à la une de l´actualité et on n´a pas arrêté de me citer. Je pense que l´on ne m´a pas pardonné le soutien que j´avais eu de la part de la presse algérienne. Malgré tout, je suis jeune et je garde l´espoir qu´un jour je serai réhabilitée. Je compte bien faire profiter de cette expérience toutes les femmes dignes qui osent s´exprimer. J´envisage même d´écrire un livre dans cette perspective, une sorte de guide pour celles qui envisagent de se lancer dans une carrière sportive.
Depuis mon plus jeune âge, et grâce au soutien de ma famille, je me suis consacrée à la pratique du sport. Dès lors, j´ai su que ma vie serait un sacrifice en soi pour faire partie des meilleurs. Il y a, bien sûr, le sacrifice de sa jeunesse au service de l´effort et de l´exercice. J´ai, aussi, dû apporter une importante contribution financière pour payer mes stages à l´étranger. Mais la plus grande marque de mon dévouement est celle d´avoir sacrifié ma vie familiale. Les entraînements, les déplacements et la disponibilité morale et physique sont difficilement compatibles avec une vie de femme. C´est au nom de tous ces sacrifices que je suis triste et révoltée de ma situation actuelle. Pourtant, en y repensant, si c´était à refaire, je referais tout ce chemin d´une manière identique. Je suis une femme oubliée et négligée, certes, mais digne et accomplie malgré tout.
Mon premier conseil est de poursuivre sa carrière tout en privilégiant les études. Il y a très peu de place au sommet et il est nécessaire d´envisager une alternative. De plus, il faut admettre que concilier une vie familiale et une carrière de haut niveau relève presque de l´impossible. Des choix cruciaux sont, dès lors, à faire. Je crois au potentiel des sportives algériennes malgré tout. Avec une bonne dose de motivation, de courage et de nationalisme, l´espoir de vaincre est à portée de main.